Le corps et l’esprit sont très étroitement connectés »
L'un et l'autre sont aussi indissociables que les pensées et les émotions, explique le psychiatre Christophe André. Pour ce grand partisan de la psychologie positive, apprendre à gérer ces interactions nous permet d'améliorer notre santé.
Les liens entre le corps et l'esprit ont longtemps suscité une grande méfiance en France. Comment l’expliquez-vous?
Nous sommes une nation plus intellectuelle que sentimentale, et cela a exercé une influence sur notre rapport au corps. Longtemps, nous l’avons traité comme un outil. Nous en attendions le silence, c’est-à-dire la santé; la jouissance des organes et des sens, l’obéissance pour nous transporter et nous servir.
La faute à Descartes ?
En partie : Descartes insistait sur la prééminence de l’esprit sur le corps, mais n’incitait pas pour autant à négliger ou ignorer ce dernier. En revanche, une certaine vision du christianisme a longtemps considéré le corps comme un obstacle à la vie de l’esprit et à l’élévation de l’âme, comme une source de tentations charnelles : il fallait le tenir à distance. Aujourd’hui, nous savons que le corps et l’esprit ne sont ni la même chose ni deux choses totalement séparées : ce sont deux entités différentes mais très étroitement connectées. Comprendre ces interconnexions peut énormément nous apporter.
Pourquoi notre regard a-t-il évolué ?
Diderot et Rousseau ont, les premiers, réhabilité le corps, en montrant combien l’humain est un être sensible et à quel point ses ressentis corporels et émotionnels contribuent à son équilibre et son identité (1). A partir du XXe siècle, médecine, psychologie et neurosciences ont exploré de manière scientifique la notion d’intelligence du corps. Nous comprenons désormais le corps non comme un empilement d’organes sur lequel régnerait le cerveau, mais comme une entité complexe et subtile, siège d’une foule d’interactions. Il en va de même avec la nature : l’écologie nous a appris qu’on ne peut plus la voir comme une simple addition d’animaux et de végétaux, mais qu’il faut la considérer comme un ensemble intelligent dans lequel toutes les espèces sont reliées. Il existe pareillement une écologie corporelle, et tout ce qui concerne le corps concerne aussi le cerveau, donc l’esprit.
En quoi cette nouvelle perception du corps laisse-t-elle une plus large place au pouvoir de l'esprit ?
D’abord, parce que le corps représente une source considérable d’informations et d’outils pour permettre à l’esprit de bien faire son travail : par exemple, l’attention prêtée aux messages corporels est une aide précieuse. Le professeur de neurologie Antonio Damasio (2) a montré que les personnes ne ressentant plus d’informations corporelles, en raison de lésions ou de maladies, ont des fonctions intellectuelles perturbées, même si le cortex cérébral est intact. Ensuite, parce que l’esprit a besoin du corps pour se réguler lorsque nous sommes stressés, nous pouvons mieux nous apaiser par le souffle et la détente musculaire que par nos pensées. Mais cela n’est pas spontané, nous devons l’apprendre par des exercices de relaxation, de méditation, qui vont peu à peu modifier nos câblages cérébraux (la fameuse neuroplasticité). Les « pouvoirs de l’esprit » sont en réalité des pouvoirs de l'« entraînement de l’esprit » ! Et cet entraînement mobilise énormément le corps, notamment par le biais de la régulation des émotions.
Que sait-on, justement, du rôle de ces dernières ?
Elles sont à l’exacte interface du corps et de l’esprit, et s’expriment de manière simultanée dans ces deux dimensions : une émotion se traduit toujours par l’apparition de modifications physiques et de contenus mentaux. Dans certains cas, l’émotion commence dans le corps : je me sens physiquement mal à l’aise devant quelqu’un qui me ment ou me manipule, avant même de l’avoir compris intellectuellement. Dans d’autres cas, elle commence dans l’esprit : lorsque j’anticipe des soucis à venir, mon corps réagit comme s’ils étaient vraiment là (c’est1’anxiété). On estime aujourd’hui que pensées et émotions sont indissociables, comme les deux faces d’une carte à jouer.
Comment le cerveau rend-il compte de cet enchevêtrement ?
Dans l’évolution des espèces, le cerveau émotionnel apparaît avant le rationnel (le cortex), et les émotions précèdent l’apparition des pensées. Nos émotions constituent ainsi une forme de pensée intuitive, qui comprend les situations très vite et donne des impulsions corporelles sans besoin que l’intelligence intervienne. Lorsque notre espèce a développé son cortex, ce dernier n’a pas «effacé » le cerveau émotionnel, mais s’est, en quelque sorte, branché sur lui.
Un cerveau « prime »-t-il l'autre?
C’est un peu comme un cavalier et sa monture : qui l’emporte ? Bien sûr, le cavalier semble dominer, mais seulement s’il respecte son cheval, le comprend, et s’entraîne beaucoup avec lui. Notre esprit n’est pas tout-puissant; notre cerveau émotionnel envoie beaucoup plus d’informations vers le cortex qu’il n’en reçoit. C’est la raison pour laquelle il est si difficile de calmer mentalement sa peur ou sa colère, car, pour l’instant - ce sera peut-être différent dans quelques millions d’années -, c’est le cerveau émotionnel qui inonde d’informations et d’injonctions le cerveau intellectuel, notamment le cortex préfrontal, et non l’inverse. Même si celui-ci envoie aussi des informations en retour - tel que le message « Calme-toi », par exemple, en situation d’émotion forte.
Si l'esprit peut agir sur le corps, sait-on s'il peut agir sur notre santé, et comment?
Cela passe surtout par la régulation émotionnelle la capacité de diminuer le stress et d’amplifier les émotions agréables. On sait, depuis la fin des années 1950, que les émotions négatives, comme stress ou colère, entraînent des effets, délétères sur le corps. Depuis quinze ans, on mesure aussi les bienfaits des émotions positives. Elles rééquilibrent notre système nerveux parasympathique (celui de l’apaisement du corps, qui freine l’action du sympathique, celui du stress), améliorent notre immunité, semblent freiner le vieillissement cellulaire, etc. Une étude célèbre dans ce domaine, la Nun Study, a porté sur environ 700 religieuses américaines suivies sur plusieurs décennies : les sœurs qui avaient le plus de pensées positives vivaient significativement plus longtemps, et en meilleure santé. De nombreuses autres études l’ont confirmé : les émotions agréables améliorent notre santé, quand le stress la détériore.
Toutes ces recommandations sur notre santé et la façon de se conduire pour la préserver ne risquent-elles pas de nous rendre totalement obsessionnels? Certains ne lâchent plus leur bracelet connecté qui leur indique le nombre de pas effectués dans la journée: d'autres paniquent de n'avoir pas pu respecter à la lettre " les consignes alimentaires du dernier nutritionniste à la mode...
Le problème n’est pas de prendre soin de sa santé, mais de ne prendre soin que d’elle ! Il existe un tas d’autres choses importantes : faire le bien autour de soi, protéger la planète... Mais la vie est bien faite : parmi les émotions positives les plus bénéfiques pour la santé figurent justement la gratitude et la bienveillance, et le contact régulier avec la nature améliore notre immunité. Ces données nous encouragent à prendre soin non seulement de nous, mais aussi de notre environnement, humain et naturel.
(1) Lire l’ouvrage passionnant de Georges Vigarello, Le Sentiment de soi, Seuil. (2) L’Erreur de Descartes. La raison des émotions, Odile Jacob.
Propos recueillis par Claire Chartier
SOURCE : L’Express n° 3299 24-30 septembre 2014
Mes bonus.
- Pratiquez au quotidien la cohérence cardiaque pour réguler le système nerveux parasympathique.
- Pratiquez la bienveillance, ce qui ne signifie pas qu’il faut dire oui à tout !!! Bienveillance et compassion sont des états d’esprit positifs qui n’épuisent jamais la personne qui les éprouve, parce qu’elle réagit à la souffrance par des états mentaux constructifs. Au contraire, l’empathie peut épuiser car elle fait ressentir la souffrance de l’autre.