La bienveillance n'est pas qu’altruiste : elle a des effets positifs sur la santé de son auteur. Et cela s'explique.
L’université d’Emory (Géorgie, Etats-Unis), Charles Raison a étudié les effets d’un entraînement à la bienveillance et à la compassion sur l’inflammation cellulaire et le stress. Sa conclusion : cet entraînement les réduit significativement, prévenant ainsi la dépression, le cancer et les pathologies cardiaques Barbara Fredrickson, chercheur à l’Université de Caroline du Nord (Love 2.0, éd. Marabout), confirme cet effet protecteur du bonheur eudémonique - celui apporté par des activités qui donnent un sens à la vie. Avec son équipe, elle a évalué l’inflammation cellulaire liée au stress chez des personnes se décrivant comme «très heureuses». Résultat : le bonheur seul ne suffit pas à faire diminuer l’inflammation. Elle est même généralement élevée chez les adeptes du bonheur hédonique, lié à une abondance de plaisirs En revanche, chez ceux qui cultivent le bonheur eudémonique, tourné vers les autres, il est bas. Parce que les liens interpersonnels concourent à cette forme de bonheur, l’aide apportée à autrui et une attitude généralement bienveillante sont donc source de bonne santé. La bienveillance envers soi-même a aussi montré son impact positif sur l’anxiété et la dépression. Kristin Neff, chercheur en psychologie (S’aimer, éd. Belfond), a mis au point un test pour évaluer son degré d’auto compassion (en anglais).
« Selon le niveau d’auto compassion des sujets, on observe une variation d’un tiers à 50 % du degré d’angoisse et de dépression, alors que l’autocritique et l’impression de ne pas être à la hauteur jouent un rôle important dans leur apparition. Les individus les plus compatissants envers eux-mêmes ont aussi une intelligence émotionnelle plus développée, et se sentent moins déstabilisés dans les contextes délicats Ils appréhendent les problèmes avec davantage de recul, un sentiment d’isolement moins grand, et gèrent mieux leurs émotions.» Des recherches ont d’ailleurs montré un lien entre une forte auto compassion et un faible taux de cortisol, hormone du stress.
Au contraire de la compassion, l'empathie peut épuiser car elle fait ressentir la souffrance de l'autre.
Tania Singer, neuroscientifique à l’institut Max-Planck de Leipzig, a observé sous IRM le cerveau de personnes en train de méditer sur l’amour altruiste et la bienveillance lorsqu’on les confronte à la souffrance d’autrui : les aires cérébrales impliquées dans l’amour maternel, les émotions positives et le sentiment d’appartenance s’activent. Chez les sujets ne méditant pas, c’est une partie des circuits neuronaux associés à la douleur qui s’activent. « Ces derniers éprouvent de l’empathie : ils s’identifient à la personne qui souffre et cela les fait souffrir, explique Matthieu Ricard. Cela explique les burn-out, ou épuisements empathiques, fréquents chez les personnes confrontées de manière chronique à la détresse d’autrui, comme les soignants.
Alors que bienveillance et compassion sont des états d’esprit positifs, qui n’épuisent jamais la personne qui les éprouve, parce qu’elle réagit à la souffrance par des états mentaux constructifs». La compassion peut ainsi donner à la mère d’un enfant gravement malade la force de l’aider efficacement, plutôt que d’être terrassée par l’empathie, donc la douleur qu’elle éprouve, devant sa souffrance.
Être bienveillant entraîne des sentiments positifs Pour Fabrice Midal, il ne s’agit de rien de moins que d’amour. « Non pas d’un amour romantique, mais d’un amour ouvert, vaste et chaleureux. qui fait du bien, réchauffe et soulage », estime le fondateur de l’École occidentale de méditation (Méditations sur l’amour bienveillant, éd. Audiolib). « Un amour qui doit nous inclure nous-mêmes autant qu’il inclut les autres» Un amour sans limite ? L’hypothèse est confirmée par les neurosciences Lorsque des personnes très amoureuses regardent une photo de leur partenaire, ou des mères un cliché de leur enfant, le système de récompense du cerveau est stimulé. Or, explique Jacques Lecomte, « ce plaisir ressenti lorsque nous aimons peut s’étendre à un cercle bien plus étendu. Une équipe de neurobiologistes coréens a montré que lorsque quelqu’un a des pensées de compassion envers une personne triste, cela stimule le système mésolimbique zone cérébrale du système de récompense qui incite à entrer en contact avec autrui.» Idem : selon une étude de la NIH (Institut national américain de la santé), les centres de la récompense sont stimulés de la même manière quand on observe quelqu’un donner de l’argent à une œuvre de charité que lorsque l’on en reçoit soi-même.
Le tonus vagal, qui favorise le contact avec les autres, peut être renforcé via la méditation.
On observe également chez la personne qui fait preuve de bienveillance une augmentation du taux d’ocytocine. Cette hormone joue un rôle majeur dans l’attachement et la consolidation des liens entre les personnes. Elle module notamment l’activité de l’amygdale, une structure du cerveau qui intervient dans le traitement des émotions. « On a montré expérimentalement que la partie de l’amygdale activée face à la peur est inhibée par l’inhalation d’ocytocine, tandis que celle qui est activée dans les interactions sociales positives est stimulée », précise Barbara Fredrickson. Elle modère aussi l’accélération du rythme cardiaque et la hausse de la tension artérielle générée par le stress, atténue le sentiment de dépression et accroît le seuil de tolérance à la douleur. L’ocytocine semble donc à la fois calmer les peurs, qui peuvent empêcher d’interagir avec l’autre, et améliorer l’aptitude à entrer en relation. Sans toutefois nous rendre aveuglément confiant. « Elle augmente le contact visuel et l’attention que l’on porte aux expressions faciales, permettant de se fier à l’instinct qui nous dicte de faire confiance ou non à la personne », explique Barbara Fredrickson.
En cherchant les liens entre émotions positives et santé, son équipe et elle se sont penchées sur le nerf vague. « Ce nerf prend naissance dans le tronc cérébral, tout au fond du crâne, et bien qu’il fasse plusieurs arrêts dans divers organes internes, son rôle le plus crucial est sans doute de raccorder le cerveau au cœur.
Un tonus vagal élevé, qui se mesure au rapport entre rythme respiratoire et fréquence cardiaque, est bon à tout point de vue : le nerf vague stimule de minuscules nerfs faciaux qui nous permettent d’établir un contact visuel et de synchroniser nos expressions faciales avec l’autre, sa bonne tonicité augmente donc la probabilité de se relier physiquement à l’autre, accroissant les chances d’entrer mutuellement en résonance positive. Autrement dit, d’éprouver de l’amour, en tant qu’émotion. Un tonus vagal élevé permet également de ralentir les brusques soubresauts du cœur qui peuvent être dus au stress, à la peur ou à l’épuisement.» Différent d’une personne à l’autre, le tonus vagal est en général remarquablement stable au cours de la vie. Mais Barbara Fredrickson a découvert qu’il peut être renforcé par un entraînement à la méditation sur l’amour bienveillant (amour étendu).
Dans son étude, un groupe méditait, l’autre non, et tous les participants devaient noter chaque soir leurs émotions, positives et négatives, et la qualité des relations sociales de la journée. Résultats : les expériences positives étaient plus fréquentes chez ceux qui étaient entraînés, et cette tendance suivait l’augmentation du tonus vagal, les gens ayant le plus d’expériences positives étant ceux dont le tonus vagal avait le plus augmenté. Pour Barbara Fredrickson, l’amour bienveillant est donc «littéralement bon pour la santé ».
SOURCE : ça m’intéresse n 407, janvier 2015