«Je suis charrette, j'y arriverai jamais», s'exclame ce publicitaire strasbourgeois en quittant son agence. «Faut passer la quatrième, on est à la bourre», dit le chef de la winstub a ses marmitons. «On se magne, sinon on va rater le petit à la sortie de la séance de yoga»... L'obsession du chronomètre a son langage fleuri, signe de son ancrage dans l'air du temps. L’homo de plus en plus sapiens que nous sommes, résiste de moins en moins bien à l'injonction de rapidité. Pourtant, philosophes, neurobiologistes et autres Paganini de la recherche sur le stress tirent la sonnette d'alarme depuis belle lurette: il faut se dépêcher de «retrouver sa tortue intérieure ».
La course contre la montre est une épreuve imposée. Désormais, c'est |’Urgence qui commande. Elle exige un autre usage du temps, avec ales effets secondaires immédiats: l'apparition de mauvaises habitudes de vie, du lever au coucher. La durée du sommeil, par exempte, est en chute libre. Selon l’INSEE et l’Institut national du sommeil et de la vigilance, les Français dorment 1 h3O de moins qu’il y a 3O ans. L’Urgence grignote également le temps des repas. Dans les années 1990, les mêmes Français consacraient en moyenne 1 H30 au déjeuner; aujourd’hui, 22 à 3O minutes doivent suffire, selon une étude du groupe national de protection sociale Malakoff Médéric. Ceux qui rentrent manger à la maison à midi sont de moins en mains nombreux. « Ça fait un peu ringard», disait récemment |’un de ces intellectuels cultivés qui hantent les émissions de téléréalité.
Nous sommes tous devenus des accros de la vitesse. Le temps est compressé, nous avons des agendas surchargés, mais personne ne trouve le moyen d’étirer une journée pour la taire passer de 24 à 26 heures, ou au moins à 25. Alors on compose avec ce temps qui refuse obstinément de devenir extensible. On en gagne un peu par ci, on en transpose un peu par là - et on découvre l'’impatience, au mieux, l’angoisse, le stress ou la dépression, au pire.
Réapprendre à prendre son temps. « Retrouver sa tortue intérieure», comme le dit joliment le journaliste Carl Honoré dans son Ivre Eloge de la lenteur. La tendance s’affirme. Le souffle nouveau donné à la méditation le montre bien ou encore le retour en force de la sieste. En Alsace, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à proposer à leurs salariés des salles de repos ou des «Points Zen», parfois équipés de transats ou de fauteuils auto-massant. On y diffuse même de la musique douce. Impensable il y a dix ans! Beaucoup de chefs d'entreprises refusent de franchir le pas: «Payer les gens à ne rien faire, et puis quoi encore!»
Pourtant, les résultats sont encourageants. La détente et la relaxation pendant une vingtaine de minutes en début d'après-midi contribuent au bien-être de la personne et lui permettent d'accroître son efficacité au travail. Aujourd'hui, on peut même se reposer dans des « bars à sieste», comme à Belfort. Invitation au lâcher-prise, incitation a l'apaisement sur des matelas à eau près d'un joli jardin. Une cuisine équipée permet de réchauffer son repas avant ou après la sieste.
Le bon sens est souvent le meilleur des experts: il n'est pas interdit d'aimer vivre vite, mais il est conseillé d'apprendre à lever le pied. De laisser sa tortue intérieure choisir son propre rythme, de temps en temps. Il est grand temps d'ailleurs de songer au point Final de cet éloge de la lenteur, qui n'est pas l'éloge de la paresse...
Hilaire Dutemps
Source : mieux vivre en Alsace n°2 été 2015
Le saviez-vous ?
Il existe une Journée internationale de la Lenteur! Elle a tété lancée en 2001 par des Québécois non conformistes. La date choisie est le 21 juin, c'est le plus long jour de l'année, on peut prendre son temps. Contrairement à la Fête de la Musique célébrée le même jour, la Journée de la Lenteur a beaucoup de mal à s'imposer. Nous n'avons repéré aucune manifestation dédiée dans la région.