L’ère du numérique semblait bien installée avec ses promesses utopiques de liberté, d’abondance et d’efficacité. Mais voilà que les nouvelles technologies utilisées sans parcimonie s’avèrent plus néfastes, tant sur le plan physique que psychologique et mental, que la consommation de drogue.
Le début d’une détox ?
Happés par nos écrans, nous tweetons au petit-déjeuner, marchons en géolocalisant de nouveaux endroits, les partageons dans l’instant, répondons aux mails en cuisinant, faisons du sport en regardant des clips ou des séries et nous couchons avec Facebook.
Nous sommes surpuissants, nous savons tout, nous pouvons tout, nous sommes partout. De véritables couteaux suisses au service de l’efficacité et du gain de temps. Pour Fabien Loszach, sociologue spécialiste de la culture et des imaginaires sociaux, |'hyper connexion serait un état existentiel nouveau. Nous sommes des «êtres réseau totalement tournés vers les autres», mais au détriment de nous-mêmes et de notre santé.
Une drogue?
C’était le cas de Julie, 29 ans, gestionnaire d'une communauté de personnes qui émettent des avis sur les commerces locaux. Dans Psychologies Magazine, elle évoque d'abord le sentiment de bonheur que lui procurait le «pouvoir (de) se démultiplier à l’infini, regarder une série télévisée, suivre plusieurs conversations sur Twitter et jouer au ping-pong sur les quarante fenêtres de [son] ordinateur ouvertes simultanément». Puis l’épuisement, le «cerveau prêt à exploser», la boulimie virtuelle qui lui ôte jusqu’à l’énergie de contrôler son image.
Car le comportement multitâche agit sur notre cerveau comme une drogue. Selon Daniel j. Levitin, neuroscientifique spécialisé en psychologie cognitive, ce dernier ne pouvant se concentrer sur plusieurs choses à la fois ne fait en réalité que basculer de l’une à l'autre. Il s’adapte constamment et brûle son principal carburant, le glucose. Sauf que le cerveau est également friand de nouveautés. À chaque changement d’activité, il sécrète dopamine et adrénaline, les hormones du plaisir. Plus on jongle, plus on devient accro. Les réserves de glucose s’épuisent et c'est le court-circuit Les conséquences de cette compulsion vont de l’épuisement physique à la confusion mentale, des prises de décision aléatoires au burn-out, en passant par l’anxiété et l’agressivité. Pire qu’avec la consommation de cannabis. Sans parler de l‘effet délétère des ondes émises par les écrans.
Prise de conscience.
Face à ce constat apparaît une nouvelle forme de détox : la détox numérique. Le but étant de tout couper, s’affranchir des Smartphones, tablettes, ordinateurs, s'éloigner des téléviseurs. Bref, se déconnecter des écrans pour se reconnecter à l'essentiel et à soi.
Pierre-Olivier Labbé, journaliste accro à son Smartphone et aux réseaux sociaux, a vécu trois mois éloigné du numérique pour le documentaire « Digital Detox», diffusé récemment sur Canal +.
Son but: comprendre comment cette révolution digitale nous affecte et trouver des solutions alternatives pour i« mieux gérer et moins subir». Il confie s’être senti un peu isolé (malgré un téléphone à l’ancienne dont il s’est quand même servi). Mais cela lui a permis de retrouver «de l’errance cérébrale» et, une fois reconnecté, une certaine parcimonie dans l’utilisation des outils technologiques. À l’étranger, le phénomène détox existe depuis plusieurs années. En 20 l 3, la journaliste australienne Susan Maushart écrivait le livre «Pause» après six mois d’abstinence, accompagnée dans l’aventure par ses enfants. En 2012, c'est le journaliste américain Paul Miller qui décidait de se couper d’internet pendant un an, expérience qu’il raconte sur le site The Verge.
Quand débrancher devient branché.
Surfant sur ce créneau, se sont développés aux États-Unis des summer camps, des camps d’été pour hipsters hyper connectés désireux de se débrancher et retrouver le goût de la nature.
En France aussi, ceux qui souhaitent échapper aux sollicitations constantes et redécouvrir leur part contemplative peuvent désormais faire des séjours de diète numérique. Le Vichy Spa Hôtel Les Célestins propose par exemple de rééduquer les actifs aisés pour les aider à mieux utiliser leurs gadgets. Au Château de La Gravière, dans le Haut-Médoc, on ralentit et on revient à l‘essentiel. En Bretagne, Relax Océane nous reconnecte à «dame nature et l'air iodé». Et dans la capitale, le Westin Paris-Vendôme, prenant exemple sur celui de Dublin, offre une bulle loin des pixels.
Partout, ce mot d’ordre, «No wifi, no Smartphone, no TV». Téléphones, tablettes et autres gadgets sont disposés dans un coffre-fort à l'arrivée du vacancier. En échange, on lui remet un «kit de survie» constitué de livres, jeux de société, équipements sportifs ou encore chaîne hifi. Au programme, séances de yoga et de sophrologie, méditation, massages, coach psycho comportemental, menus bio ou allégés et balades dans la nature. Côté entreprises, on réalise aussi l’effet néfaste de l’utilisation abusive des nouvelles technologies et la contre-productivité liée à la surabondance des e-mails, qui effritent la distinction entre le futile et l’urgent, mais aussi les échanges humains. Olivier Mathiot, PDG de Price Minister l’a bien remarqué et «interdit» désormais à ses salariés l’utilisation de la boîte mail un vendredi matin par mois.
Mais que fait-on des tout-petits ou des jeunes ados dont la vie semble se dérouler en grande partie sur les réseaux sociaux? Faut-il interdire? Autoriser? Si oui, quoi, quand et combien de temps? Le site Apprivoiserlesecrans.com apporte quelques pistes pour les 3 à l2 ans en précisant cependant que «nous ne devons pas priver nos enfants du désir et de la chance d’entreprendre quelque chose de neuf que nous n’avions pas prévu.» La réponse se trouve peut-être là. Paul Miller le dit dans son récit : «il y a beaucoup de virtuel dans la réalité et beaucoup de réalité dans le virtuel». Tout est question de modération et de parcimonie.
Cristina Purcarete.
Source : Bio info n°35