Dans notre monde d’aujourd’hui, nous menons généralement une vie pressée, avec toujours plus de choses à faire, et nous nous sentons souvent débordés, dépassés. Comment retrouver un peu de sérénité ? Dans « Sérénité - 25 histoires d’équilibre intérieur », Christophe André nous donne une des clefs: le lâcher prise.
Aujourd’hui, lorsque tu es souffrant, tu commences par réagir en adulte : tu as d’abord tendance à considérer ta maladie comme un handicap qui t’empêche de vivre normalement, qui te prive de quelque chose, qui te rend inefficace. Tu as perdu ces capacités d’acceptation de l’enfance, qui te permettaient d’habiter ces instants d’apathie et de lâcher prise sans les juger négativement. Mais te remémorer tous ces souvenirs t’a fait plaisir, t’a fait sourire. Puis réfléchir. Du coup, tu t’es efforcé d’habiter ces heures alitées avec curiosité et acceptation. Tu as essayé de retrouver la sagesse et la paix de tes apathies fébriles du temps de l’enfance, leur saveur douce et apaisante. Tu as songé à ta difficulté à lâcher prise, à te laisser aller à ne rien faire. Il n’y a que la maladie qui arrive aujourd’hui à t’y contraindre. Tu savais que c’était une erreur, mais à cet instant, tu le sens dans ton corps : tu dois apprendre à lâcher prise même quand tu n’as pas 39°C de fièvre...
Nous nous épuisons souvent en voulant maîtriser le cours de notre vie. Parfois jusqu’à l’absurde. Sous l’emprise de nos états d’âme anxieux, nous avons souvent l’illusion que le contrôle est une solution efficace, une réponse aux aléas de l’existence, aux incertitudes de l’avenir. Mais le désir de tout placer sous contrôle a pour conséquence un sentiment épuisant de n’avoir jamais fini ce que l’on a à faire. On se condamne à être toujours débordé. Comme me le racontait un patient : « Un jour, j’ai compris que je ne m’en sortirais jamais. Que je ne pourrais plus continuer à faire face à tout. Alors j’ai pris la seule décision possible : ne plus chercher – justement à faire face à tout ! J’ai décidé que je devais apprendre à vivre au milieu de choses pas faites, et à accepter que je ne les ferai jamais. Au début, c’était dur : être assis sur le canapé en écoutant de la musique et voir tous les petits bricolages à faire dans la pièce ou penser par association à tous ceux à faire dans la maison, ou me dire à ce moment que je n’avais pas assez aidé mes enfants à mieux comprendre leurs maths... Tout ça me donnait envie de me relever, de me dire que je n’avais pas le droit d’être assis là tant que tout ça ne serait pas fini. C’est-à-dire jamais... Mais je me suis forcé : je me suis dit que j’avais le droit de me reposer un peu, même si je n’avais pas fini tout ce que j’avais à faire. Je suis donc resté assis de force dans mon canapé à écouter la musique. Peu à peu, je me suis détendu. Et j’ai continué comme ça pour plein de petits détails. Contrairement à mes prédictions d’avant, en lâchant prise de temps en temps, je ne suis devenu ni clochard ni laxiste. Juste un peu plus cool... »
Ah ! Les innombrables « missions à accomplir » de la pensée anxieuse ! Lorsque nous sommes anxieux, le monde n’est plus composé que de ces missions à accomplir. Du coup, vivre, tout simplement, devient un souci. Et se reposer ou ne rien faire, un péché. Si nous raisonnons ainsi : « Tu prendras le temps de te reposer, de te faire du bien, de te détendre seulement quand tu auras tout fini », alors nous transformerons notre vie en enfer, ou plutôt en bagne. Nous nous serons réduits nous-mêmes en esclavage.
Pas d’autre solution que d’accepter que le monde nous échappe. A cela, nous devons travailler inlassablement. Cela ne signifie pas qu’il faut se résoudre au chaos : souvent, les anxieux à qui vous faites des suggestions vont prendre vos conseils pour les amener à leur point extrême afin de vous démontrer que non seulement ils ne sont pas applicables mais même dangereux. « Lâcher prise ? Tu veux que je me foute de tout ? Tu veux que je ne m’occupe plus de rien ? D’accord, tu vas voir le résultat... » Non, il ne s’agit pas de passer d’un extrême à l’autre. Nous devons juste chercher un point médian, entre le trop et le trop peu ! Juste comprendre que nous ne sommes pas tout-puissants. Que le désordre et l’incertitude sont inhérents au monde vivant et mobile auquel nous appartenons. Que si on n’apprend pas à les tolérer, on va avoir une existence drôlement fatigante.
Nous avons aussi à accepter qu’il y a plein de choses que nous ne ferons jamais ici-bas. Des petites et des grandes. Depuis les albums photos que nous n’aurons jamais le temps de composer jusqu’aux pays où nous n’irons jamais... Petits deuils de notre toute-puissance, de nos appétits de vie. Triste ? Oui. Mais cette tristesse sera peut-être moins pénible et plus féconde que la tension des chimères (« tout faire ! ») que l’on couve avec énervement. En thérapie, je blague souvent mes patients à ce propos : « J’ai une bonne nouvelle : le monde sans souci dont vous rêvez existe. Et une mauvaise : ça s’appelle le Paradis et ce n’est pas pour tout de suite. En attendant, on va essayer de s’arranger avec ce monde-ci, qui s’appelle la Vie. »