Lorsque les perceptions changent, on voit combien celles-ci sont conditionnées par notre état d’être. Dans Le Livre tibétain de la vie et de la mort, Sogyal Rinpoché relate « une expérience des plus stupéfiantes. Tous les objets du monde environnant étaient en train de se dissoudre… » Son maître l’incita à ne pas s’attacher à cette expérience. « Il est conseillé de ne pas accorder d’importance aux diverses expériences intérieures qui peuvent surgir au cours de la méditation, écrit Matthieu Ricard dans L’Art de la méditation. Notre but est de nous transformer nous-mêmes au fil des mois et des années. »
Une invitation à ne pas nous identifier à ce que nous percevons...
La méditation est une invitation à ne pas nous identifier à ce que nous percevons, afin de poser un regard neuf sur chaque instant. Ultimement, dans le bouddhisme tibétain, ce travail de l’esprit permet d’arrêter de n’être que réactif pour « être ». Comme dans d’autres traditions spirituelles, la méditation y est le creuset d’une alchimie. L’esprit modifie son rapport au monde jusqu’à réaliser à quel point il participe à sa création.
Rencontre avec la science.
La méditation produit des effets après seulement 8 semaines d’entraînement, à raison d’une heure par jour. Un modeste méditant n’affolera pas les IRM, mais il peut prétendre à des changements appréciables de certaines qualités. Dans The Emotional Life of the Brain, Richard Davidson liste six caractéristiques émotionnelles, et conseille pour les modifier différents types de méditation : une méditation basée sur le souffle pour accroître sa sensibilité au contexte, un body scan pour améliorer la conscience de soi, etc.
Cette éducation de nos traits émotionnels par la méditation, en vue de cultiver des qualités d’intuition, d’attention, de compassion est un axe de recherche prometteur. Outre ses effets avérés sur la circuiterie cérébrale, la capacité de la méditation à agir sur le corps est établie : accélération de la guérison du psoriasis, meilleure récupération lors des traitements du cancer… Selon Jon Kabat-Zinn, qui a introduit la méditation dans les hôpitaux, les études récentes indiquent que la méditation peut avoir des effets sur la division cellulaire, et même sur l’ADN. A une vitesse fulgurante, les recherches se sont accumulées, ouvrant à la méditation les portes des hôpitaux, des écoles et des prisons aux Etats-Unis. La France suit le même chemin.
Lutte contre le stress et le burn out, guérison de la dépression, baisse du déficit de la Sécurité sociale, nous demandons à la méditation de changer notre réalité.
La méditation et la psychothérapie...
Un exemple : des études ne cessent de paraître montrant que toutes sortes de méditations sont utiles pour réduire le stress, « ce que peut faire également une bonne sieste, ou de l’exercice. C’est très bien, de pouvoir mener sa vie en étant plus relaxé. Mais qu’en est-il des effets de la méditation sur l’esprit profond, sur les capacités psychiques par exemple (précognition, clairvoyance, télépathie, etc.) ?
Spécialiste de la cohérence cardiaque, le Dr David O’Hare s’est intéressé dans son livre Intuitions, coécrit avec un para psychologue, au rapport entre la pratique de cette technique (qu’il considère comme une méditation), et l’apparition de perceptions extrasensorielles. « On m’a reproché d’avoir écrit là-dessus, car un médecin n’est pas censé parler de choses comme ça. Il est pourtant certain que nous sommes programmés pour d’autres états de conscience », estime-t-il. Pour David O’Hare, la pratique de la méditation favorise un état de réflexion propice à la prise de décision. Et les perceptions extrasensorielles font partie du processus. Autre caractéristique de la pratique méditative : elle nous amène à une expérience élargie de notre identité, au-delà de notre personnalité. « Vous avez besoin de votre ego, de votre personnalité. Il ne s’agit pas de vous en débarrasser, mais de savoir que ce n’est pas vraiment vous, explique Jack Kornfield. Lorsque vous vous regardez dans la glace, vous notez que vous avez vieilli. Mais ce qui est étrange, c’est que vous ne vous sentez pas plus vieux. C’est parce que la conscience qui regarde le miroir est hors du temps. »
Il y a deux types de méditation :
les méditations de focalisation, qu’on pourrait appeler aussi de concentration. Elles sont basées sur le principe, là où va l’attention va l’énergie, et consistent à focaliser l’attention sur un point - la respiration, un mantra; sur une qualité de conscience qui peut être la joie, l’attention aux autres, l’altruisme. .. -, ou encore sur des courants de sensations qui confluent dans un point. Par exemple, dans le yoga royal (raja yoga), qui est la partie méditative du yoga, on fait converger les courants gauche et droit qui viennent des hanches et le courant central au milieu du front. Dans ce cas, l’énergie est dirigée. En revanche, avec les méditations d’observation – vipassana, MBSR (en français : programme de réduction du stress par la pleine conscience) qui en est dérivé, zen, vedanta... — on sort de ce mouvement énergétique et on l’observe de l’extérieur, comme n’étant pas soi. Dans ce cas, on laisse l’énergie circuler librement et on l’observe sans la diriger. Ce sont deux attitudes différentes par rapport à l’énergie. Mais on a toujours ces deux pôles : énergie et conscience.
Dans un cas on est actif, dans l’autre on se contente d’observer.
Ce sont les deux grandes méthodes complémentaires de méditation. Le secret, c’est de les alterner. La méditation de concentration permet d’améliorer des points faibles de notre système psychique et énergétique, tandis que la méditation d’observation permet de décanter et voir le fond. Le côté observation est plus relaxant. Le côté concentration est plus stimulant. Lorsqu’on pratique les deux en alternance, un équilibre s’instaure.
Dans la méditation de focalisation, on est plus actif. On a repéré par l’observation qu’il existe des zones de faiblesse, et on se concentre dessus. On pourrait interpréter les chakras comme des points antistress. Par exemple, au niveau du visage nous avons deux zones de stress : entre les sourcils, et au niveau de la mâchoire. Lorsqu’on se concentre sur le chakra du troisième œil au centre du front, on dégage alors la tension entre les sourcils, et également celle du menton. Au niveau du thorax, nous avons quatre centres de tension : le plexus solaire et la gorge reliés à l’anxiété, les deux seins reliés à l’érotisme et au désir fort. Lorsqu’on se relie à la zone du cœur, on est au centre de ces quatre points, et on se libère de ces facteurs de perturbation. S’il y a une grande intensité de sensation dans une zone, ou sur un point, il y aura une grande énergie dans cette zone. C’est un phénomène aujourd’hui bien étudié, et qui n’a rien de mystérieux.
C’est d’abord un rééquilibrage énergétique. À long terme, on s’aperçoit qu’on peut élargir notre corps énergétique, ou subtil — un corps ressenti qui va au-delà des limites du corps physique et peut avoir des formes différentes, en fonction des zones sur lesquelles on se concentre. La méditation est une expansion de la sensation du corps, expression moins vague que « d’expansion de conscience ». Ça s’élargit et dans cet élargissement on a beaucoup plus de liberté de choix, de mobilité. On sait en neurophysiologie que lorsqu’on s’endort, il y a une altération du schéma corporel. En méditation, on va dans des états proches du sommeil, on apprend à guider cette altération du schéma corporel pour en faire un peu ce qu’on veut. Ce n’est pas la neuro plasticité mais c’est la « subtile-plasticité». C’est le corps subtil qui devient plastique.
L’un des grands avantages d’aller au-delà du corps physique par la perception subtile, c’est de pouvoir ressentir l’autre personne de l’intérieur, grâce à cette extension. De ce fait, on développe une bonne base pour l’empathie et l’altruisme. Dans une session de méditation, il peut être bon de méditer d’abord sur les détails des sensations dans le corps, et ensuite de travailler sur l’expansion du corps et du cœur subtils par différentes techniques qui permettent de ressentir leur ouverture. D’abord défaire tous les nœuds de la laisse qui relie corps énergétique et corps physique, puis l’allonger.
A chaque fois, c’est un rééquilibrage naturel qui se fait. Comme le disait Matthieu Ricard en citant un proverbe tibétain : « Lorsqu’on laisse courir le cheval, les poils de sa queue se dénouent d’eux-mêmes. » De la même façon, quand on laisse courir notre mental, beaucoup de choses se remettent en place naturellement. Un des plus grands psychologues occidentaux, Ernest Lawrence Rossi, estimait que ce qui marche vraiment en psychothérapie, c’est le fait que lors d’une séance, la personne puisse se reposer tranquillement et laisser se rééquilibrer ce qui se passe à l’intérieur du corps et de l’esprit pendant une heure, une ou deux fois par semaine. C’est ce laisser-venir, ce rééquilibrage spontané du corps et de l’esprit, qui est vraiment thérapeutique.
L’idée est que nous avons en nous la sensation du corps subtil parfait, telle une mémoire ancienne, mais elle est masquée par l’agitation mentale. Lorsque nous calmons le mental, le corps subtil se manifeste de lui-même. Cela rejoint les propos de Milton Erickson, père de l’hypnose moderne, qui résumait ainsi le fondement de sa psychothérapie : « Vous savez, mais vous ne savez pas que vous savez. » On oublie son soi, ses facultés de rééquilibrage et d’auto guérison, d’intensification de la conscience... Il faut alors utiliser des méthodes méditatives pour se souvenir qu’on sait.
Propos de
- Virginie GOMEZ, journaliste
- Jacques VIGNE, psychiatre
INEXPLORÉ N°18 juin 2013