Si des bactéries, des plantes et même des vaches peuvent ressentir le champ magnétique…alors pourquoi pas l’homme ? Jusqu’à récemment, cette idée était largement méprisée, notamment à cause d’études controversées sur le comportement humain.
Dans les années 1970 et 1980, le biologiste anglais Robin Baker, qui enseignait alors à l’université de Manchester, avait testé la capacité de ses étudiants à identifier la direction dans laquelle ils étaient orientés, dans un lieu inconnu et les yeux bandés. Ses résultats, publiés dans la revue Science en 1980, firent beaucoup de bruit: les étudiants auraient montré une capacité naturelle à se situer dans l’espace.., sauf lorsqu'un aimant avait été fixé sur leur front! Mais l‘excitation suscitée par cette découverte allait rapidement s’effondrer, car aucun des chercheurs ayant tenté de reproduire les travaux de Baker ne retrouva ces résultats. L’hypothèse de la capacité humaine à ressentir le champ magnétique terrestre en ressortit fortement discréditée.
Elle fut ressuscitée par la découverte de molécules sensibles au champ magnétique chez différentes espèces, dont l’homme. Une piste ouverte au début des armées 1970… par hasard. A l’époque, le microbiologiste Richard Blakemore découvre que, lorsqu’il met un pot de sédiments marins prés d’un agitateur magnétique, utilisé pour remuer des solutions liquides, il s’y dessine un tourbillon, raconte Hervé Cadiou, le chercheur britannique remarque alors que ce tourbillon est créé par des bactéries cachées dans les sédiments, capables de s’orienter par rapport au champ magnétique grâce à une molécule très particulière: la magnétite utilisée pour fabriquer les aiguilles des boussoles! Ce minéral aux propriétés magnétiques forme de longues chaines qui s’accrochent aux membranes cellulaires. A la manière de l‘aiguille d’une boussole, ces chaines sont toujours orientées dans l’axe nord-sud, ce qui oblige mécaniquement les bactéries à en faire de même. "Ces bactéries, qui vivent dans des milieux très particuliers, à faibles concentrations en oxygène, nagent toujours le long des lignes de champ magnétique, ce qui leur permet de ne pas se perdre ”, explique Damien Faivre, de l’Institut Max-Planck,
Ainsi, les êtres vivants sont capables de produire leurs propres boussoles! Cette magnétite pourrait-elle constituer la clé du sens magnétique chez les animaux ? Pour le savoir, les chercheurs se sont lancés dans la traque de ce précieux minéral, au cœur de nombreuses cellules, organes et espèces… Un travail laborieux, mais payant: cette boussole moléculaire a été identifiée chez plusieurs animaux, dans des cellules de la muqueuse olfactive de la truite, dans la partie supérieure de becs de pigeons et. .. dans le cerveau humain!
De quoi donner forme à une première hypothèse d’un mécanisme susceptible d’être à l’œuvre en nous: chaque mouvement de la tète entrainerait celui de la magnétite — toujours orientée dans l'axe nord-sud — par rapport aux cellules qui la contiennent. Ces mouvements provoqueraient mécaniquement l'ouverture de canaux dans la membrane des cellules, ce qui permettrait l’envoi de messages chimiques à des cellules en contact direct avec elles. Mais cela n’a encore jamais été démontré chez l’homme. Et, pour de nombreux chercheurs, la magnétite pourrait n’être, dans notre espèce, qu'un simple déchet cellulaire…
Un deuxième récepteur dans la rétine.
La découverte d'un deuxième mécanisme va cependant finir de les convaincre. Ce mécanisme est pour la première fois envisagé à la fin des années 1990 avec la découverte du cryptochrome, une molécule sensible à la lumière, présente chez les plantes et dans la rétine de nombreux animaux, dont l’homme. En réagissant à la lumière, cette molécule produit des radicaux libres, des particules chargées électriquement et dont la position des électrons les uns par rapport aux autres influence les réactions chimiques qui se produisent dans la rétine. Or, la position de ces électrons dépend elle-même de la direction du champ magnétique !
Des modifications de ce dernier pourraient donc se traduire par des variations d’activité dans la rétine. De quoi imaginer une seconde forme de magnéto réception, qui passerait par exemple par l’apparition de taches, plus ou moins lumineuses, à l’intérieur du champ visuel, selon l’orientation du regard par rapport aux lignes du champ magnétique
Cette hypothèse est renforcée par de nombreuses observations, à commencer par une étude de 1993. Montrant que les rouges-gorges sont capables de s’orienter par rapport au champ magnétique terrestre uniquement sous des lumières bleues et vertes, auxquelles le cryptochrome est spécifiquement sensible. D’autres résultats tendant à impliquer ce mécanisme ont été retrouvés chez de nombreuses espèces, comme la mouche du vinaigre ou l’arabette des dames, célèbre plante de laboratoires. L’une de ces espèces est l’homo sapiens…et la démonstration est à la hauteur des réticences de la communauté scientifique à ce sujet !
Quel impact sur notre organisme ?
En 2011, l’équipe de Thorsten Ritz, de l‘université de Californie, à Irvine (États-Unis), a ainsi créé des mouches mutantes, dénuées de cryptochrome, et donc incapables de s‘orienter par rapport à un champ magnétique. Or,n après que le gène du cryptochrome humain leur fut transféré, ces mouches ont retrouvé leur sens magnétique. Preuve que le cryptochrome humain est, lui aussi capable de détecter le champ magnétique ! Une découverte qui renforce les conclusions des études menées par Franz Thoss dans les années 2000. Ce chercheur allemand a, montré, en soumettant plusieurs personnes à un test de détection de stimuli lumineux d’intensités croissantes, que l’œil humain détectait plus facilement la lumière quand le regard était dirigé parallèlement aux lignes de champ magnétique. La différence de sensibilité était suffisamment faible pour expliquer que, en dehors de tout cadre expérimental, personne ne se soit jamais aperçu de cette incroyable faculté !
Aujourd’hui les indices sont là, nombreux et solides: l'homme possède tous les outils moléculaires et tous les circuits cellulaires pour capter les champs magnétiques. Quand certaines espèces n'exploitent que la magnétite ou que le cryptochrome, d'autres, comme l'homme, pourraient bénéficier de l'activité de ces deux récepteurs à la fois. Reste à découvrir si cette information est bien prise en compte par notre cerveau, et comment celle-ci pourrait, sans que nous en soyons conscients, se répercuter sur le fonctionnement de notre organisme. Quelques études publiées, mais jamais répliquées, ont évoqué des différences dans l’activité électrique du cerveau ou dans la rapidité des mouvements oculaires de personnes endormies, en fonction de l'orientation dans laquelle ces dernières étaient allongées. Mais des études plus sérieuses, menées sur de grands échantillons de population, manquent encore. Peut être les récentes découvertes permettront elles enfin à de tels projets d’être lancés.
Les chercheurs demeurent très sceptiques sur la capacité de l’homme à déduire son orientation du champ magnétique, aucune étude, depuis celle de Baker, n‘ayant mis en évidence une telle faculté. "Si cela existe vraiment, je ne m’y fierais pas pour trouver ma direction s’amuse Thorsten Ritz. Et ces découvertes sont loin de fournir une explication scientifique aux pratiques des sourciers et des magnétiseurs ou au Feng shui. IMAGE Mais elles devraient renforcer le débat sur un autre sujet brûlant: la question des risques sanitaires liés aux ondes électromagnétiques issues des lignes à haute tension.
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Pourquoi aurions-nous conservé un sens que nous ne savons visiblement pas comment employer? "Peut-être qu‘il y a très longtemps, nos ancêtres s’en servaient pour s’orienter, et que nous avons, depuis, perdu cette capacité propose Franz Thoss. Autre hypothèse : malgré la présence dans notre organisme de tous les outils permettant de percevoir le champ magnétique, nous n’aurions jamais développé les moyens d’intégrer cette information et de l‘utiliser pour none orientation. C‘est déjà le cas des plantes, dont le champ magnétique influence la croissance. Si elles ne tirent aucun profit de ce sens magnétique, elles auraient cependant conservé le cryptochrome pour ses autres fonctions essentielles — réception de la lumière et régulation des rythmes biologiques quotidiens. Peut—être la magnéto réception a-t-elle été conservée de la même manière chez l’homme, malgré son inutilité...
L‘une des grandes difficultés, pour tirer cette affaire au clair, est qua l’influence du champ magnétique terrestre est très faible, donc difficile à démontrer. “Cela a freiné les avancées, regrette Margaret Ahmad, de l’université Pari-VI. Mais le frein principal est probablement d’ordre psychologique. Ce domaine dans lequel peu d’équipes osent se lancer “ports encore les stigmates d’une imagerie populaire associée aux mages et aux magnétiseurs ”, explique Hervé Cadiou, qui reconnait que "beaucoup d’études non rigoureuses ont été menées sur ce sujet dans le passé, et ont fait beaucoup de tort à la recherche ».
Grâce à l‘entêtement de quelques chercheurs, un impressionnant chemin a quand même été parcouru. Il y a cinquante ans, le sens magnétique n'était qu'un fantasme. Or, on admet aujourd’hui que ce phénomène, qui a longtemps relevé du domaine de l’étrange, irrigue presque toutes les branches de l’arbre de la vie. Et après tout, que la vie soit sensible aux forces qui la bercent, en tous points du globe, depuis son apparition…cela est-il vraiment étrange ?
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