Plante médicinale en Asie, le thé vert intéresse les scientifiques pour ses propriétés anti oxydantes. Est-ce un aliment-médicament pour autant ?
En feuilles, en sachets, soluble, nature ou aromatisé, le thé est, après l’eau, la boisson la plus consommée dans le monde. Doit-on pour autant le considérer comme un « alicament» (un aliment-médicament), surtout lorsqu’il est vert ? Utilisée depuis plus de 4500 ans, sa feuille fut considérée en Asie comme une plante médicinale avant d’être une boisson. La littérature scientifique attribue à Camellia sinensis des propriétés thérapeutiques et la plante a été inscrite (1996) dans la pharmacopée française, recueil officiel des médicaments autorisés (1) : l’utilisation du thé vert y est reconnue en cas de fatigue et en tant qu’adjuvant des régimes amaigrissants. Cette inscription ne signifie pas que son efficacité est reconnue dans ces indications, mais atteste de sa non-nocivité pour la santé humaine, aux doses recommandées
Depuis quelques années, le thé vert retient également l’attention des scientifiques - et des publicitaires - pour les supposées propriétés anti oxydantes de ses constituants phénoliques et leur éventuel rôle préventif des affections cancéreuses. Les recherches sont, certes, prometteuses, mais de là à prétendre que boire du thé vert prémunirait du cancer, il y a un fossé que les scientifiques se gardent bien de franchir (lire l’interview ci-contre) Reste que si le thé est une boisson désaltérante et non calorique, il présente des effets indésirables qu’il faut connaître.
Non oxydé, le thé vert préserve ses divers composés. Une seule et même espèce (Camellia sinensis) est à la base des trois types de thé, qui différent par leur mode de préparation. Le thé noir est composé de feuilles séchées, roulées, oxydées et séchées à nouveau. Le thé vert est chauffé après récolte afin de stopper l’oxydation ce qui lui permet de conserver ses substances. Le thé oolong (ou wulong) est partiellement oxydé. La feuille de théier non oxydée contient des protéines (15-20 %), des polyphénols (15-20 %, des acides aminés (3 % , des glucides (5 %), de la vitamine C, des vitamines B, du fluor et de la caféine (2 à4 %) (2).
Contenant de la caféine, il est considéré comme un stimulant.
Cet alcaloïde, longtemps appelé théine, est bien la même molécule que celle présente dans le café, mais on observe des différences d’action dues à l’environnement de la molécule. La caféine du thé est encerclée de tanins (voir Lexique) avec lesquels elle forme un complexe.
Au contact de l’acide chlorhydrique de l’estomac, les tanins précipitent, c’est-à-dire forment un produit peu soluble, ce qui ralentit la libération et donc l’assimilation de la caféine (3). Elle diffuse donc de façon plus lente et uniforme dans l’organisme que la caféine du café, et agit de façon moins brusque sur le système nerveux. Elle est également l’une des premières substances à diffuser pendant une infusion. Ainsi, plus le thé est infusé, moins il est excitant. Thé noir et thé vert sont aussi riches en caféine, dont la teneur n’est pas modifiée par l’oxydation.
Ses vertus amaigrissantes sont discutables.
Boisson non calorique, le thé vert est recommandé comme adjuvant de régimes amaigrissants, mais son action n’est pour l’instant prouvée par aucune étude probante. On reconnaît cependant à la caféine une action diurétique, qui favorise l’élimination d’eau via, l’urine en stimulant l’action de filtrage des reins. Mais pour autant elle ne fait pas perdre de poids de manière directe et peut simplement aider à résorber une légère rétention d’eau. De plus, cette action diurétique ne paraît effective qu’à des doses de caféine supérieures à 575 mg par jour, soit plus de quatre tasses (4). Quant à son action supposée de « brûle graisses », qui amplifierait les dépenses énergétiques de l’organisme (5) en contribuant à puiser dans les réserves de graisse, aucune preuve scientifique de son efficacité en prise orale n’a été établie jusqu’à présent.
L’action de ses polyphénols en prévention des cancers n’a pas encore fait ses preuves chez l’homme. Les recherches récentes laisseraient entrevoir, in vitro, l’activité anti oxydante des polyphénols, molécules très abondantes dans le thé vert, qui représentent de 15 % à 20 % de sa matière sèche. La teneur varie selon l’âge de la feuille - les plus jeunes sont les plus riches - et la saison - la teneur étant plus élevée en été. Une tasse de thé vert apporte ainsi 300 à 400 mg de polyphénols et représente, en Europe du Nord, la principale source (60 %) devant les oignons, les pommes et le raisin noir. Ces composés phénoliques pourraient avoir une action de prévention sur certains cancers.
In Vitro, ces molécules sont en effet dites antimutagènes et semblent avoir une action sur la multiplication cellulaire, l’apoptose, ou encore la transcription des gènes (6). Mais pour l’instant, il ne s’agit que d’études chez l’animal, non transposables à l’homme (lire ci—dessus). De plus, les polyphénols n’étant pas des nutriments, ils sont rapidement éliminés par l’organisme. Leur action est donc très limitée dans le temps.
Il limite l’absorption du fer.
Les flavonoïdes, substances dont le thé vert est richement doté, entravent l’absorption du fer alimentaire. Pris au cours du repas, le thé peut inhiber de 60 à 70 % son absorption, et entraîner des carences chez les végétariens et végétaliens, les femmes enceintes et les enfants. Il leur est donc recommandé de consommer du thé en dehors des repas. Il interagit avec certains médicaments. Le thé vert est également riche en Vitamine K qui favorise la synthèse de facteurs de la coagulation. Il peut réduire l’efficacité de la warfarine, un médicament anticoagulant (7).
En poudre ou en extrait, il peut provoquer des dommages au foie. Une douzaine de cas d’atteintes hépatiques, en France et en Espagne, chez des patients recevant un extrait de thé vert supposé amaigrissant, a conduit au retrait du marché du produit correspondant en 2003. Depuis, quelques cas analogues ont été recensés. Le mécanisme de cette hépatoxicité n’a pas été élucidé, mais il semble que les effets délétères soient fortement majorés quand ces extraits sont consommés à jeun (8).
Lexique
Tannins : substances présentes dans certaines boissons (thé, café, vin). Ils contribuent au parfum du thé, mais provoquent la coloration des dents. Antimutagène : substance qui lutte contre des agents physiques ou des substances chimiques susceptibles d'entraîner des mutations du code génétique, qui sont transmises à la descendance des cellules et modifient leur caractère. Ce mécanisme est impliqué dans l’apparition de cancers.
Apoptose : mort cellulaire programmée. Elle s'oppose à la nécrose, mort cellulaire due à un traumatisme.
Notes
(1) J. 0, n° 281, 3 décembre 1996, p. 17540. (2) Pharmacognosie : Phytochimie, Plantes Médicinales. Jean Bruneton. Editions Tec et Doc. 2009. (3) Frazier Richard A et al. « Interactions of tea tannins and condensed tannins with proteins », Journal ofpharmaceutical and biomedical analysis, 2009, Vol. 51. (4) David Schardt. « Catfeine : the good, the bad, and the maybe », Nutrition Action. Mars 2008. (5) Rauvichayapat et a|., « Efiectiveness of green tea on weight reduction in obese thais : A randomized, controlled trial », Physiology and Behavior 93 (2008) : 486-91. (6) Yang CS et al. « Cancer prévention by tea : evidence from laboratory studies ». Pharmacol. Res. 2011; 64: 113-122. (7) Taylor JR, Wilt VM. « Probable antagonism of warfarin by green tea » Ann. Pharmacother 1999 ; 33 (4) : 426—8. (8) Mazzanti.G. et al. « Hepatotoxicity trom green tea : a review of the Iitterature and two unpublished cases x, Eur. J. Clin. Pharmacol. 65, 331-341.
Selon Paule Latino-Martel, Responsable du Réseau national alimentation cancer recherche, les propriétés protectrices vis-à-vis du cancer des polyphénols du thé vert - et notamment de celui dénommé épigallocatéchine gallate- ont été mises en évidence.
Mais uniquement sur les modèles animaux et cellulaires, et à des doses bien supérieures à la consommation humaine. Ces résultats n’ont pas été confirmés par les études épidémiologiques prospectives sur des populations humaines.
Il n’y a donc pas de raisons pour l’heure de formuler des recommandations visant à la consommation de thé vert pour se prémunir du cancer. Seules des études prospectives, rigoureuses, sur de larges échantillons de population, pourront confirmer ou infirmer son éventuel intérêt. »
15 000
Ce serait le nombre de tasses de thé consommées chaque seconde dans le monde où 3,8 millions de tonnes de feuilles de théier sont produites chaque année. La Chine, pays d’origine de la plante, en est le principal fournisseur (1 186 000 tonnes), suivie par l’Inde (950 000 tonnes) et le Kenya (315 000 tonnes).
Source : Sciences et avenir, mai 2012
Pour les cruciverbistes :
Vient après l'O. - Réponse : le T (selon le premier paragraphe)