Chaque mois, paraissent des études confirmant les bienfaits de la méditation sur notre état psychologique et physique. Sans doute est-ce en ne se laissant pas « déborder » par ses émotions et en nous confrontant à la réalité que l’on parvient au bien-être...
Des chercheurs américains de la Texas Tech University Faculty ont analysé les effets d’un programme de méditation élaboré en Chine dans les années 90. Cette technique repose sur des exercices de relaxation, de respiration, de postures et de visualisation mentale pour accéder progressivement à l'état de méditation.
Garder ses pensées à distance.
La méthode fait surtout réagir certaines zones du cerveau impliquées dans l'attention et la mémoire, mais aussi dans la prise de décision et l’empathie par exemple. En cinq séances de 20 minutes seulement, les bienfaits se font sentir. Non seulement les participants voient leur comportement s'améliorer au niveau émotionnel, social et cognitif, mais ils remarquent aussi une diminution de leur stress au quotidien, de l’anxiété, de la dépression, moins d’accès de colère ou de fatigue et une meilleure concentration.
Selon une étude américaine parue dans la revue Translational Psychiatry, en associant sport et méditation deux fois par semaine pendant deux mois, on réduit de 40 % les symptômes associés à la dépression.
La méditation permet de « remettre les pensées à leur place », c’est-à-dire de moins se laisser parasiter par des émotions que l’on maîtrise mal. Il s’agit de garder une distance salutaire avec ses pensées, en les considérant comme telles.
Cela peut paraître inaccessible quand on ne s’y est jamais essayé.
Quels sont les grands types de méditation?
Les méditations de focalisation, qu’on pourrait appeler aussi de concentration. Elles sont basées sur le principe, là où va l’attention va l’énergie, et consistent à focaliser l’attention sur un point — la respiration, un mantra; sur une qualité de conscience qui peut être la joie, l’attention aux autres, l’altruisme. .. —, ou encore sur des courants de sensations qui confluent dans point. Par exemple, dans le yoga royal (raja yoga), qui est la partie méditative du yoga, on fait converger les courants gauche-et droit qui viennent des hanches le courant central Eau milieu du front. Dans ce cas, l’énergie est dirigée.
Les méditations d’observation – vipassana, MBSR (en français : programme de réduction du stress par la pleine conscience) qui en est dérivé, zen, vedanta. .. - on sort de ce mouvement énergétique et on l’observe de l’extérieur, comme n’étant pas soi. Dans ce cas, on laisse l’énergie circuler librement et on l’observe sans la diriger. Ce sont deux attitudes différentes par rapport à l’énergie. Mais on a toujours ces deux pôles : énergie et conscience.
Dans un cas on est actif, dans l’autre on se contente d’observer.
Ce sont les deux grandes méthodes complémentaires de méditation. Le secret, c’est de les alterner.
La méditation de concentration permet d’améliorer des points faibles de notre système psychique et énergétique, tandis que la méditation d’observation permet de décanter et voir le fond. Le côté observation est plus relaxant. Le côté concentration est plus stimulant. Lorsqu’on pratique les deux en alternance, un équilibre s’instaure.
Est-ce qu’on peut définir la méditation comme un rééquilibrage énergétique ?
C’est d’abord un rééquilibrage énergétique. À long terme, on s’aperçoit qu’on peut élargir notre corps énergétique, ou subtil — un corps ressenti qui va au-delà des limites du corps physique et peut avoir des formes différentes, en fonction des zones sur lesquelles on se concentre. La méditation est une expansion de la sensation du corps, expression qui me paraît moins vague que celle « d’expansion de conscience ». Ça s’élargit et dans cet élargissement on a beaucoup plus de liberté de choix, de mobilité. On sait en neurophysiologie que lorsqu’on s’endort, il y a une altération du schéma corporel. En méditation, on va dans des états proches du sommeil, on apprend à guider cette altération du schéma corporel pour en faire un peu ce qu’on veut. Ce n’est pas la neuro plasticité mais c’est la «subtile-plasticité ». C’est le corps subtil qui devient plastique.
Comment illustrer cette plasticité ?
L’un des grands avantages d’aller au-delà du corps physique par la perception subtile, c’est de pouvoir ressentir l’autre personne de l’intérieur, grâce à cette extension. De ce fait, on développe une bonne base pour l’empathie et l’altruisme. Dans une session de méditation, il peut être bon de méditer d’abord sur les détails des sensations dans le corps, et ensuite de travailler sur l’expansion du corps et du cœur subtils par différentes techniques qui permettent de ressentir leur ouverture. D’abord défaire tous les nœuds de la laisse qui relie corps énergétique et corps physique, puis l’allonger.
Lors des méditations d’observation, le rééquilibrage s’opère-t-il de manière naturelle ?
Oui, à chaque fois, c’est un rééquilibrage naturel qui se fait. Comme le disait Matthieu Ricard en citant un proverbe tibétain : « Lorsqu’on laisse courir le cheval, les poils de sa queue se dénouent d’eux-mêmes. » De la même façon, quand on laisse courir notre mental, beaucoup de choses se remettent en place naturellement. Un des plus grands psychologues occidentaux, Ernest Lawrence Rossi, estimait que ce qui marche vraiment en psychothérapie, c’est le fait que lors d’une séance, la personne puisse se reposer tranquillement et laisser se rééquilibrer ce qui se passe à l’intérieur du corps et de l’esprit pendant une heure, une ou deux fois par semaine. C’est ce laisser-venir, ce rééquilibrage spontané du corps et de l’esprit, qui est vraiment thérapeutique.
Sur quoi repose ce rééquilibrage ?
L’idée est que nous avons en nous la sensation du corps subtil parfait, telle une mémoire ancienne, mais elle est masquée par l’agitation mentale. Lorsque nous calmons le mental, le corps subtil se manifeste de lui-même. Cela rejoint les propos de Milton Erickson, père de l’hypnose moderne, qui résumait ainsi le fondement de sa psychothérapie : « Vous savez, mais vous ne savez pas que vous savez. » On oublie son soi, ses facultés de rééquilibrage et d’auto guérison, d’intensification de la conscience... Il faut alors utiliser des méthodes méditatives pour se souvenir qu’on sait.
Peut-on définir cette énergie qui rétablit l’équilibre ?
Pour l’hindouisme, il y a trois grandes énergies : tamas, raja: et sattva. Yamas est l’énergie de destruction et de léthargie, avec son côté positif, la stabilité. Raja: désigne la stimulation, l’excitation, et dans son côté positif, le dynamisme. Enfin, sattva est la pureté, la lumière et son côté négatif est l’orgueil spirituel.
On regarde le jeu de ces trois qualités d’énergie de l’extérieur, par la conscience. En l’observant, on s’en libère et on arrive au soi, à l’énergie de la pleine conscience « art-delà des trois énergies ». En yoga, on travaille à devenir pur sattva. Cela consiste à arriver au bord du plongeoir, et à sauter dans le vide lumineux du soi. On est alors au—delà de l’énergie. C’est la conscience qui englobe l’énergie et non l’inverse.
Mon maître a eu une fois de bonnes expériences énergétiques dont il a parlé à Ma Ananda Moyi, une sage du XX° siècle. Elle lui a répondu : « Tout ceci reste au niveau de l expérience, mais il faut aller au-delà. » « Au-delà» est le mantra qui réunit toutes les mystiques.
Est-on plus actif dans la méditation de focalisation?
Oui, dans la méditation de focalisation, on est plus actif. On a repéré par l’observation qu’il existe des zones de faiblesse, et on se concentre dessus. On pourrait interpréter les chakras comme des points antistress. Par exemple, au niveau du visage nous avons deux zones de stress : entre les sourcils, et au niveau de la mâchoire. Lorsqu’on se concentre sur le chakra du troisième œil au centre du front, on dégage alors la tension entre les sourcils, et également celle du menton. Au niveau du thorax, nous avons quatre centres de tension : le plexus solaire et la gorge reliés à l’anxiété, les deux seins reliés à l’érotisme et au désir fort. Lorsqu’on se relie à la zone du cœur, on est au centre de ces quatre points, et on se libère de ces facteurs de perturbation. S’il y a une grande intensité de sensation dans une zone, ou sur un point, il y aura une grande énergie dans cette zone. C’est un phénomène aujourd’hui bien étudié, et qui n’a rien de mystérieux.
Peut-on dire qu’à chaque centre énergétique correspondent des propriétés différentes ?
La concentration sur le chakra du cœur éveille le mariage intérieur, l’union du masculin et du féminin à l’intérieur de l’être, et libère de l’anxiété en aspirant l’énergie du plexus et de la gorge. Ces effets énergétiques viennent des différences de potentiel. Pour les obtenir, il faut se concentrer sélectivement sur les zones. Il faut augmenter le potentiel de la zone qui n’est pas concerné par le stress, en la sentant de manière sélective, et à ce moment-là les zones autour, qui sont liées au stress, sont comme aspirées par la zone centrale où il n’y en a pas. En créant ces courants, on a l’effet thérapeutique le plus fort. La difficulté pour le débutant est de centrer son attention sélectivement sur une zone assez petite. D’où l’intérêt de la méthode du tapotement (EFT) où l’on stimule des points antistress.
On influence donc le corps énergétique par la méditation ?
Mon maître Swami Vijananda, un médecin français qui a passé 60 ans comme yogi en Inde et qui a médité en tout pendant 75 ans, disait très souvent qu’il était important de développer l’ouverture des canaux d’énergie, c’est—à-dire d’apprendre à structurer le corps énergétique. Dans la tradition hindoue, le corps énergétique est comparé à une ville d’or, dans laquelle les artères, au double sens du terme, permettent une bonne communication. Un peu comme Haussmann avec ses grands boulevards ! Pour cela, il faut développer une capacité de concentration.
On peut en méditation travailler en visualisant de la lumière.
Est-ce une manière d’influer directement sur le corps énergétique ?
On vit alors le corps subtil comme lumière. Le premier travail sur la lumière — peut-être le plus simple —, implique le centre du front. Cela s’appelle âjnâ chakra en yoga — une connaissance (jna) qui revient vers soi (a). Cela rappelle une définition de la méditation tirée de l'Upanishad â—vritti chakshu : l’œil qui tend à revenir vers soi. Cette connaissance se manifeste au niveau sensoriel par une lumière au niveau du front. On peut l’augmenter de deux manières. Quand on a les yeux fermés, en louchant vers le haut et le dedans. Autre exercice très connu en yoga indien : amener la pointe de la langue vers le haut. A ce moment-là, deux courants d’énergie convergent : celui des yeux et celui de la langue.
On peut aussi se servir des pouces de lumière : lorsque les deux mains sont l’une dans l’autre avec les pouces qui se touchent, on sent les courants qui se rassemblent dans les ongles. On amène alors en visualisation les pouces de lumière au centre du front et on sent comme deux rivières qui confluent. Avec ces cinq courants — les deux yeux, les deux pouces, la langue —, on a de bonnes chances d’éveiller la sensation de lumière et de chaleur au centre du front. Lorsqu’on active sélectivement le centre du front, le stress qui se localise d’habitude entre les sourcils est spontanément aspiré vers le haut, comme on aspire de l’eau avec une seringue.
A ce moment-là, on s’en débarrasse.
Méditer, est-ce se relier à plus grand que nous ?
C’est se relier à plus grand que nous, à un espace heureux, lumineux, sans limite. Même les bouddhistes, qui parlent beaucoup d’impermanence et ont du mal avec un absolu permanent et substantiel, reviennent toujours à ce fond de lumière de base.
Est-ce que toutes les méditations n’ont pas pour but de créer une voie d’accès à cet espace heureux et lumineux ?
Ce sont des passages vers cet espace. Nous sommes comme des spéléologues perdus dans une grotte, qui soudain atteignent la sortie et voient le ciel. On a demandé au maître zen Gi Xi de définir le zen, ce qui était un défi car il avait l’habitude de répondre aux questions par un mot. Il a dit : « Un passage ». Nous avons des passages à trouver qui mènent à cette grande conscience. Et avec l’expérience, on trouve. Les canaux d’énergie font partie de ces passages. Dans cette image, notre corps est le gouffre avec ses stalagmites, ses boyaux. Nous sommes emmêlés dans notre corps.
Mais le corps n’est-il pas source de sagesse, et la méditation ne consiste-t-elle pas justement à s’incarner ?
C’est tout le paradoxe. On descend dans le corps pour s’en libérer. Pour cela, il faut bien le connaître. L’erreur des religions moralisantes est d’essayer d’obtenir une sorte de stabilité mentale en se détachant du corps par le volontarisme et par une sorte de pensée positive, alors qu’il faut descendre dedans.
Vous employez l’expression « aller vers le ciel ». Mais ne parle-t-on pas d’une dimension immédiatement présente, dans laquelle nous sommes immergés ?
Les sages savent que le ciel est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Dans la comparaison classique du vedanta, notre corps est comme un pot qui repose au fond de l’océan. C’est la même eau qui est à l’intérieur et à l’extérieur de nous. De même, c’est le même ciel qui est à l’intérieur et à l’extérieur. C’est la clé.
N’accorde-t-on pas plus d’importance en Occident à la pleine conscience qu’à l’utilisation de l’attention focalisée ?
Je pense que c’est lié au fait que Jon Kabat-Zinn (qui a joué un rôle de premier plan dans l’introduction de la méditation de pleine conscience en milieu hospitalier) a travaillé avec des patients hospitalisés avec des maladies chroniques assez graves: La première chose à faire, c’était de la relaxation. A cet égard, la pleine conscience a un effet relaxant certain. Avec l’effet relaxation, les gens ont envie d’aller plus loin. Si le dalaï-lama et Matthieu Ricard encouragent cela, c’est parce qu’ils veulent rassurer le grand public par des méthodes qui fonctionnent de façon scientifique et laïque. Mais ensuite, on va naturellement vers d’autres formes de méditation plus spirituelles. Il faut comprendre ce besoin des gens d’être rassurés. Il est possible d’avoir une vie intérieure sans tomber dans une croyance dogmatique et exclusive. Ils veulent s’intérioriser, mais ils ont peur, car il y a des propos très négatifs sur tout ce qui est spirituel et religieux, y compris dans les médias. Il faut les rassurer sur le fait qu’il est possible d’avoir une vie intérieure sans tomber dans une croyance dogmatique et exclusive.
Peut-on apprendre à méditer sans maître?
Ce que dit clairement Tenzin Palmo, qui a passé 11 ans dans une grotte et 6 ans de plus dans une vallée perdue de l’Himalaya, c’est qu’il ne faut pas prendre la fausse excuse qu’on n’a pas de maître pour ne pas commencer à méditer. On peut apprendre beaucoup des pratiques de base avec des enseignants honnêtes, sans prétention, et bien progresser avec eux. Tenzin utilise une comparaison très simple : notre intérieur est comme une grande déchetterie, nous y accumulons les poubelles depuis notre enfance ; quand on commence la méditation, on se met au nettoyage avec des camions 5 tonnes, c’est-à-dire des pratiques simples répétées de façon soutenue. Ajoutons que sur Internet, il y a de nombreuses vidéos en ligne qui permettent des darshan, c’est-à-dire la rencontre directe avec un grand sage. Ces transmissions spirituelles me paraissent une utilisation intéressante des nouvelles technologies.
Note : toutes les photos de cette page ont été prises par moi-même durant un voyage en Chine en 2009
Source :
Inexploré n° 18 printemps 2013
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