L'activité industrielle du XX° siècle a laissé un lourd héritage toxique.
En France, des écoles et des immeubles d'habitation sont bâtis sur des terrains ayant accueilli des activités polluantes. a que prix pour notre santé ?
6 891 sites contaminés, en majorité par des hydrocarbures ou du plomb, sont recensés en France.
Une cinquantaine d'habitants de Villeparisis, en Seine-et-Marne, ont été évacués de leur logement pendant plusieurs jours en août dernier. Le maire a pris cette décision afin de les protéger d'émanations d'essence provenant du sous-sol d'une station-service fermée depuis des décennies et qui polluait l'air de plusieurs rues depuis deux semaines. La presse régionale évoque très régulièrement les problèmes posés par d'anciens sites industriels sur lesquels ont été construits des établissements scolaires, des habitations ou encore des jardins familiaux. Ainsi à Canteleu, en Seine-Maritime, les personnes qui cultivent ces lopins de terre en bord de fleuve ont appris au bout de cinquante ans qu'ils regorgeaient de mercure et de plomb.
Quelles sont les anciennes activités industrielles à risque?
Quelque 270000 sites ont été recensés par l'État depuis 1998. Au-delà des grosses usines, de multiples parcelles, y compris au cœur des villes, ont accueilli des activités artisanales potentiellement polluantes : garages, stations-service, blanchisseries, fonderies... Parmi ces sites, 6891 sont considérés comme pollués, ou fortement suspectés de l'être. Ils sont répertoriés dans Basol, la base de données du ministère de la Transition écologique et solidaire. Cette base est malheureusement loin d'être exhaustive, de nouveaux sols pollués étant très régulièrement découverts. Des habitants de Bourgoin-Jallieu, dans l'Isère, en ont fait l'amère expérience il y a quelques années. Alors qu'ils faisaient réaliser des travaux dans leur cave, ils ont eu la surprise de trouver sous leur maison une fosse remplie de goudron. Ce produit, classé comme cancérogène par le Centre international de recherche contre le cancer était utilisé pour traiter les traverses de chemin de fer. Ils ont ainsi appris que leur maison était construite sur l'ancienne gare SNCF, désaffectée en 1955.
Un site est considéré comme pollué lorsque les analyses réalisées sur les sols et la nappe phréatique ont révélé la présence de substances toxiques à des concentrations susceptibles de présenter un risque pour la santé humaine ou l'environnement. Le Grand-Est, Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France sont les régions où l'on en a découvert le plus. Ces pollutions sont dues le plus souvent à d'anciens dépôts de déchets, à des fuites de produits chimiques ou aux retombées de rejets atmosphériques accumulés pendant des décennies. Il peut s'agir aussi de dépôts de terre souillée, qui sont ensuite lessivés par les pluies et balayés par les vents. C'est le cas, par exemple, pour quatre communes du Gard, situées à quelques centaines de mètres d'anciennes mines. Une étude d'imprégnation par les métaux a été menée auprès des habitants entre 2015 et 2018 par Santé publique France. Les urines de près d'un quart d'entre eux présentent des taux anormalement élevés d'arsenic et de cadmium, le premier étant cancérogène, notamment pour la vessie, et le second, responsable de maladies rénales. Dans la base de données ministérielle, des effets sur la santé des riverains ne sont mentionnés que pour 23 des 6891 sites pollués recensés. Parce qu'on les a recherchés ! Pour plus de 40 % des sites, l'impact sanitaire de la pollution du sol n'est pas connu. C'est le cas pour de nombreuses crèches et écoles, selon l'association Robin des bois. Cette ONG entreprend depuis mai 2016 de rassembler tous les diagnostics effectués par les services de l'État, afin d'identifier quels établissements recevant des enfants sont concernés par des pollutions industrielles. D'après les résultats de 1 400 établissements — sur près de 2500 à diagnostiquer —, 60 % posent problème, dont 104 sites pour lesquels les pollutions observées nécessitent la mise en œuvre de mesures techniques de gestion (tels l'évacuation ou le confinement des terres polluées) voire de mesures sanitaires. Mais les collectivités locales responsables de ces établissements autant que les riverains ont toutes les peines du monde à se retourner vers le dernier exploitant de l'usine incriminée, à qui revient la charge de la dépollution dans un délai de trente ans.
Comment la pollution du sol affecte-t-elle les riverains ?
L'exposition peut être directe: en respirant des poussières ou des gaz provenant du sol, en buvant de l'eau polluée, voire en avalant de la terre comme le font parfois les enfants. Elle peut aussi être indirecte si l'on consomme des aliments produits localement: des légumes mais aussi des œufs, du lait, de la viande d'animaux élevés sur ces sols ou des poissons pêchés en eaux souillées. Michelle, gardienne d'une école dans les quartiers nord de Marseille, a ainsi été exposée au plomb pendant près de trente ans. « Je vivais sur place et cultivais mon potager, ex-plique-t-elle. En 2016, des agents de la ville m'ont appris que la terre était polluée.» L'établissement a été construit dans les années 1950, à côté d'une raffinerie. «J'ai fait analyser la terre du jardin par un laboratoire spécialisé et quand j'ai découvert les résultats en mai dernier, j'ai pris peur, confie-t-elle. Les teneurs en plomb sont 500 fois plus élevées que la norme!» Le risque peut aussi provenir d'un terrain distant du lieu de vie car les polluants sont susceptibles de se répandre à plusieurs kilomètres d'un site industriel... « Le trichloréthylène, par exemple, polluant cancérogène produit par les entreprises spécialisées dans le nettoyage de métaux ou les pressings, est soluble dans l'eau», indique Sébastien Denys, directeur du pôle santé-environnement de Santé publique France. «Transporté par les eaux souterraines, il peut se retrouver en aval de l'usine et polluer les habitations.» Comme il est volatile, il est susceptible de remonter du sol sous forme de vapeur.
Ces émanations sont-elles responsables de maladies?
Parmi les polluants le plus souvent retrouvés dans les sols des anciens sites industriels, beaucoup sont très toxiques et pour la plupart des cancérogènes avérés. Il y a ainsi des métaux lourds, comme le cadmium, des hydrocarbures, comme le goudron de houille et le benzène, mais aussi des solvants chlorés ou des composés organiques volatils, comme le formaldéhyde. « Le risque sanitaire résulte du croisement entre la dangerosité du produit et le niveau d'exposition des personnes», explique Sébastien Denys. De nombreux facteurs peuvent moduler l'exposition, comme la nature du sol sur lequel ont été construites les maisons riveraines du site. Si le sol est plutôt sableux, il facilitera les remontées de vapeurs de solvants. La typologie de la construction joue un rôle aussi. Les habitants de logements bâtis à même la terre, sans vide sanitaire, sont les plus exposés aux remontées de gaz. Les habitudes du quotidien sont également déterminantes: mieux vaut se déchausser à l'entrée de chez soi et passer une serpillière humide pour dépoussiérer plutôt que l'aspirateur, en cas de pollution des sols par les métaux lourds. «Toutefois, il reste difficile de déterminer si la pollution du site est responsable des maladies apparues chez les gens qui vivent autour, reconnaît Sébastien Denys. Car les populations étudiées ont de trop faibles effectifs pour établir un lien statistique de causalité. Par ailleurs, les maladies observées, en particulier les cancers, sont multifactorielles.» Michelle, la gardienne d'école, a développé un cancer de la peau en 2012. «Depuis, on m'a retiré huit tumeurs, soupire-elle. En janvier 2018, j'ai demandé à ce que mon cancer soit reconnu comme maladie professionnelle. La ville de Marseille a refusé pour manque de preuves scientifiques.» La justice a finalement donné raison à Michelle en juin dernier et a enjoint la municipalité à reconsidérer sa demande.
Comment savoir si mon logement est bâti sur un site contaminé ?
Lorsque l'État a connaissance d'une pollution des sols justifiant la réalisation d'études et la mise en place de mesures pour préserver la santé et l'environnement, on dit que le terrain est «sur un SIS » (secteur d'information sur les sols). Depuis fin 2015, la loi a changé: le vendeur ou le bailleur du terrain est tenu d'en informer par écrit l'acquéreur ou le locataire, notamment en cas de changement d'usage du terrain. La carte de ces SIS est en cours d'élaboration dans chaque département. Elle devra être achevée le ter janvier 2019 et consultable sur le site Georisques.. «Les propriétaires qui ignorent que leur terrain est situé sur un SIS vont en être informés par la préfecture », précise Florian Philippon, chef de projet en charge des friches urbaines et sites pollués pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). « Il sera possible également de s'informer, auprès du service urbanisme de sa commune, sur l'éventuel passé industriel de son terrain.» Habiter dans un SIS ne préjuge pas en soi d'un danger. « Un terrain peut présenter une pollution aux métaux lourds sans impact sanitaire dans la mesure où les polluants sont confinés dans les sols, par une chape de béton par exemple. Il n'y a alors aucun risque à vivre au-dessus », poursuit Florian Philippon. Les personnes qui redoutent un impact sanitaire peuvent s'adresser directement à la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, chargée de la surveillance et de l'inspection des sites industriels ou à leur agence régionale de santé. Si la pollution et son risque sanitaire sont confirmés, il est possible de se retourner contre l'ancien propriétaire du terrain. Une vente peut être cassée pour vice caché si l'acheteur n'a pas été informé de l'ancien usage du terrain et découvre une pollution. Il peut aussi demander la restitution d'une partie du prix, ou encore la remise en état du site aux frais du vendeur.
La solution est-elle de retirer la terre et de la remplacer ?
En général non. «Il existe de nombreuses techniques de dépollution. La technique utilisée dépend de la nature géologique du sol et des substances présentes », analyse Christel de La Hougue, déléguée générale de l'Union des professionnels de la dépollution des sites. «Les polluants volatils peuvent être aspirés grâce à des drains mis en place sous la maison, par exemple. Si la cave est en terre battue, une dalle de béton peut être coulée, voire complétée par un système de drainage ou de ventilation, pour limiter les remontées de vapeurs.» La présence de métaux lourds dans le jardin peut être neutralisée en recouvrant le terrain d'une couche épaisse de terre saine. Un tel confinement coûte entre 15 et 60 euros le mètre carré. Lorsque l'industriel responsable de la pollution a disparu, l'Ademe peut proposer des aides aux particuliers, notamment dans les rares cas où la maison doit être détruite. Enfin, pour choisir les prestataires réalisant le diagnostic d'un terrain puis sa dépollution, mieux vaut se référer à la certification délivrée depuis 2011 par le Laboratoire national d'essais, à Paris.
La deuxième cause de cancer du poumon est un polluant du sol
Le radon est un gaz radioactif issu de la désintégration de l'uranium et du radium présents naturellement dans le sol et les roches. Il migre à travers les fissures et s'accumule dans les bâtiments mal ventilés. Il peut se fixer sur les particules de l'air et, une fois inhalé, irradier les voies respiratoires. Le radon est ainsi responsable de près de 4000 cancers du poumon et 3 000 décès par an en France, selon les chiffres 2018 de Santé publique France. C'est la deuxième cause de cancer du poumon, derrière le tabac et devant l'amiante. Selon l'Autorité de sûreté nucléaire, 7033 communes de métropole sont situées en zone 3, c'est-à-dire que les exhalations de radon auxquelles sont exposés les riverains sont significatives. La municipalité doit alors informer ses résidents sur les mesures de ventilation à mettre en place et réaliser certains travaux d'étanchéité entre sol et bâtiments.
Source : Ça m’intéresse novembre 2018
Pour en savoir plus :
Géorisques mutualise les bases de données publiques sur la pollution des sols
La rubrique de l'Ademe consacrée aux sols pollués permet de connaître ses droits.
L'association écologiste Robin des bois recense les diagnostics de sols région par région.
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