L'effet de ce produit, censé être inerte, varierait selon les individus. De quoi remettre en question la conception des essais cliniques qui les comparent aux médicaments.
Énorme surprise : devant le placebo... nous ne serions pas tous égaux ! Administrée à diverses personnes, cette substance censée être pharmacologiquement inactive — c'est la définition même du placebo —, exercerait non seulement une action, mais une action susceptible de varier selon les individus. Cette information majeure est issue de la synthèse de divers travaux qui ont cherché à déterminer l'influence du patrimoine génétique d'une personne sur sa réponse au placebo. Cette étude, parue dans la revue Trends in Molecular Medicine en mai 2015, a de quoi jeter le trouble en recherche clinique. Pourquoi ces différences ? Proviennent-elles de la génétique de chacun? Cette diversité des réponses individuelles à l'effet placebo n'incite-t-elle pas à repenser la manière dont on évalue l'efficacité des médicaments ?
Car, on le sait, un essai clinique médicamenteux consiste souvent à évaluer une nouvelle molécule en la comparant à un placebo, partant du principe que la différence d'efficacité entre les deux produits ne repose pas sur le seul effet du médicament. C'est peu de dire que les données compilées par les chercheurs américains du Beth Israel Deaconess Medical Center (faculté de médecine de Harvard, Boston) pourraient amener à revoir la conception de certains essais cliniques. Il en ressort que plusieurs gènes peuvent jouer un rôle dans la variabilité individuelle vis-à-vis de l'effet placebo, phénomène à la fois psychologique et biologique. Les chercheurs ont même créé à ce propos un néologisme, sans doute voué à un grand avenir, le « placébome », autrement dit l'ensemble des gènes influant sur les mécanismes de la réponse biologique au placebo. C'est en 1978, il y a près de quarante ans, que l'existence d'un processus biologique lié à la réponse placebo a été mise pour la première fois en évidence. À la faveur d'une série d'études sur l'extraction dentaire, a été découvert un phénomène étonnant : l'administration d'une substance peut contrer l'effet placebo ! Ainsi la prise de naxolone, qui agit en inhibant le fonctionnement des récepteurs aux opioïdes (molécules antidouleur naturellement produites par l'organisme), interrompt le soulagement de la douleur chez un sujet qui reçoit un placebo. La preuve que celui-ci, pourtant par définition inactif sur le plan pharmacologique, exerce une véritable action sur le cerveau au niveau des récepteurs impliqués dans la douleur. Une action qui équivaut à rien de moins que l'administration de 6 à 8 mg de morphine !
De l'influence des variations génétiques Aujourd'hui, ces mécanismes neuro-biologiques sont encore mieux décryptés grâce aux techniques d'imagerie moderne, en particulier l'IRM cérébrale et la tomographie par émission de positons (PET-scan). Qu'il s'agisse des circuits neuronaux ou des neurotransmetteurs, en parti-ulier la dopamine dont le déficit est associé à la maladie de Parkinson. Son métabolisme dépend d'un gène, producteur d'une enzyme, appelée COMT (cathéchol-0-méthyltransférase).
Que ce gène diffère légèrement, et l'activité dopaminergique du cerveau s'en trouve augmentée avec pour conséquence une modification d'activité de ce qu'on appelle le « circuit de la récompense ». Or, ce circuit intervient dans l'attente du patient vis-à-vis du traitement qu'il reçoit. En clair, des individus porteurs de certaines variations du COMT auraient une activité dopaminergique plus élevée et présenteraient une plus grande tendance à répondre au placebo. Va-t-on alors imaginer des tests génétiques permettant d'identifier de telles variations et ainsi de prédire si un individu peut ou non être sensible au placebo dans une maladie donnée? Impossible pour l'instant, vu le nombre de gènes concernés et la complexité du fameux « placébome ». Ce qui vaut pour la dopamine dans la douleur ne vaut pas forcément pour la sérotonine impliquée dans la dépression...
Afin d'être en mesure de détecter l'influence réelle de telle ou telle variation génétique, des chercheurs de la faculté de médecine de l'université du Maryland à Baltimore (États-Unis) envisagent de créer une banque centralisant l'ensemble des données : « Nous mènerons en parallèle des études sur des paires de jumeaux et des sujets apparentés pour mieux évaluer cette contribution génétique dans la réponse placebo », précise le Pr Luana Colloca. Mais elle demeure prudente : « Il semble irréaliste d'attendre que des variations génétiques puissent à elles seules expliquer une part importante de l'effet placebo. La dernière décennie nous a appris, dans d'autres domaines, que des caractères physiologiques ou comportementaux sont souvent influencés par un grand nombre de gènes dont chacun exerce un effet de très faible ampleur. »
Dès lors comment utiliser ces nouvelles connaissances ?
« Puisque nous savons désormais que des personnes prenant un placebo présentent parfois les réponses auxquelles elles s'attendent, il faudrait évaluer celles-ci dans tout essai clinique, explique le Pr Fabrizzio Benedetti. D'ailleurs, des laboratoires pharmaceutiques ont commencé à le faire en demandant aux participants à quel groupe (placebo ou médicament) ils pensent appartenir. Car la dimension psychologique et les attentes qui en découlent se révèlent cruciales. » Mieux ! Il se pourrait que l'effet placebo vienne renforcer l'action pharmacologique du médicament. Une hypothèse qui reste à valider. D'où l'idée de certains chercheurs, parmi lesquels Fabrizio Benedetti, d'inclure un troisième groupe dans les études cliniques qui ne recevrait aucun traitement, autrement dit ni placebo ni médicament! Bref, d'ajouter un « groupe contrôle non traitement », au sens le plus strict du terme.
ÉTUDES CLINIQUES Des résultats étonnants en chirurgie et en acupuncture Une étude attestant du pouvoir de l'effet placebo en chirurgie a été publiée en 2002 par le New England Journal of Medicine. Au total, 180 patients souffrant d'arthrose du genou ont été répartis en trois groupes après anesthésie générale : élimination sous arthroscopie des corps étrangers libres dans l'articulation (débridement arthroscopique), lavage articulaire et « chirurgie placebo ». Dans le dernier groupe, les patients ont subi une petite incision cutanée suivie d'une simulation de débridement sans insertion de l'arthroscope, l'instrument chirurgical. Résultat fascinant : au cours des deux ans de suivi, la chirurgie de placebo s'est montrée tout aussi efficace que les deux techniques chirurgicales en termes de douleur et sur le plan fonctionnel! L'acupuncture n'échappe pas à l'effet placebo. Deux essais cliniques ont montré que le plus grand bénéfice était ressenti par les patients ayant les plus fortes attentes envers cette médecine chinoise. Et ce, qu'ils aient été répartis dans le groupe ayant réellement reçu les piqûres ou dans le groupe placebo où le clinicien faisait semblant de piquer. « Seul importait le fait que les patients croient en l'acupuncture et en attendent un bénéfice », explique le Pr Fabrizio Benedetti, neuroscientifique de l'université de Turin (Italie). Impossible cependant d'affirmer aujourd'hui que les gènes influant sur le « circuit neuronal de la récompense » des patients sont en cause.
Lexique :
Placebo : traitement inerte conçu pour simuler une véritable intervention thérapeutique. Le placebo généralement utilisé est l'excipient destiné à apporter une consistance, un goût, une couleur au médicament.
Effet placebo : réaction psychologique et neurobiologique faisant suite à l'administration d'un placebo.
Réponse placebo : effet clinique positif, par exemple soulagement de la douleur.
Placebome : ensemble des gènes et des protéines synthétisées par ces gènes influant sur la réponse placebo.
Trois questions au professeur Fabrizio Benedetti, université de Turin, Italie.
« Il n'y a pas un, mais des effets placebo » L'effet global d'un médicament est-il toujours la résultante de son action pharmacologique et de son effet psychologique, placebo? Absolument! Tout traitement, pharmacologique ou non, a deux composantes, spécifique et psychologique. Leur poids respectif peut beaucoup varier. Alors que dans certaines situations la composante spécifique est prédominante, il arrive qu'elle soit absente. Le rapport s'équilibre dans d'autres cas. Ces deux composantes paraissent agir indépendamment l'une de l'autre. Les données de l'IRM fonctionnelle cérébrale semblent indiquer que l'effet des médicaments et celui des attentes opèrent sans qu'il y ait d'interférence. On peut penser que les médicaments d'une part, les attentes des patients d'autre part, produisent des effets additifs en agissant sur des différentes régions du cerveau. La recherche doit se poursuivre.
Quelles sont les principales différences entre ces deux substances, inerte pour l'une, active pour l'autre?
La durée d'action d'un placebo est généralement beaucoup plus courte que celle d'un médicament. On ne connaît pas d'effet placebo qui dure des semaines ou des mois. Par ailleurs, la réponse au placebo est nettement plus variable que celle au médicament. En général, la réponse à un agent pharmacologique est plus constante.
Qu'en est-il de l'ampleur de la réponse placebo ?
Il arrive parfois qu'elle soit aussi importante que celle d'un médicament, voire plus élevée lorsqu'il s'agit de lutter contre la douleur. Exemple : dans le syndrome de l'intestin irritable, la réponse au placebo peut être sont souvent influencés par un grand nombre de gènes dont chacun exerce un effet de très faible ampleur. » Dés lors, comment utiliser ces nouvelles connaissances? « Puisque nous savons désormais que des personnes prenant un placebo présentent parfois les réponses supérieure à l'effet antalgique d'un médicament. Mais il faut souligner que seule une petite proportion des répondeurs au placebo montre de tels effets. En réalité, lorsque l'on considère la variabilité des réponses, l'ampleur moyenne de la réponse est plus importante pour les médicaments que celles du placebo. Au total, la réponse au placebo, qui varie énormément, dépend de la pathologie, du patient, des circonstances, notamment du contexte psychologique. Aussi n'existe-t-il pas un, mais des effets placebo.