Et si les fruits et légumes pour croître harmonieusement, avaient besoin de bonnes ondes ? Le physicien Joël Sternheimer étudie l’effet de certaines séquences de sons sur les cultures.
Quelques notes de musique au milieu d’un verger, un air de piano sorti de nulle part. . . « La première fois, c’était à sept heures du matin, se souvient l’arboriculteur Sylvain Kupperoth. Un chien s’est mis a aboyer. Sa propriétaire est sortie, elle a entendu la musique.» Bizarre: le premier voisin est à cinq cents mètres! Le lendemain matin, rebelote. Qui pouvait bien faire des gammes, en plein champ, à cette heure?
C’était il y a quatre ans. Depuis, Sylvain Kupperoth diffuse toujours des séquences sonores à ses arbres. Trois fois neuf minutes par jour, de fin février à début novembre.
Dans quel but?
Combattre la tavelure, « l’ennemi public numéro un des producteurs de pommes », indique-t-il. Un champignon qui, au gré de l’humidité, libère ses spores sur les feuilles et les fruits des pommiers. « Ce n’est pas dangereux, ça peut s’éplucher, commente-t-il, mais les consommateurs n’en veulent pas. Si les fruits ne sont pas beaux, personne ne les achète, les distributeurs les refusent. » Les enjeux sont énormes: si l’arboriculteur perd 5 % de sa récolte, son revenu de l’année disparaît. S’il en perd 10 %, il en est de sa poche. Certaines années, la tavelure a touché 20 % des fruits. «Je me souviens d’une parcelle de Granny Smith tachée à 50 %, poursuit le cultivateur. C’était mort, je n’avais même pas envie d’aller les cueillir. »
Le chant des protéines.
Sylvain Kupperoth exploite les 17 hectares du verger de La Maison Blanche depuis 1999. «Mes grands-parents y ont planté leurs premiers pommiers en 1947 », raconte-t-il. Situé à Jumelles, entre Saumur et Angers, il produit dix variétés de pommes et quatre de poires, soit environ 800 tonnes de fruits par an. «Auparavant mon seul moyen de lutter con tee la tavelure était de les traiter avec des fongicides», indique-t-il. Dix fois, parfois douze fois par an. Coûteux, pas totalement efficace et pas terrible pour l’environnement. . .
Mais l’agriculteur n’a pas le choix, la pression est trop forte. Jusqu’à ce que son chemin croise celui d’une entreprise nommée Genoclics.
« Nous étions en réunion au Syndicat des producteurs de fruits du Maine-et-Loire, dont je suis le vice-président, relate-t-il. La secrétaire nous a transmis leur plaquette. » De la musique pour soigner des plantes? « Sur le moment, on a ri!» convient-il. Mais l’homme, pragmatique, se renseigne: s’il existe un moyen de contenir la tavelure, ça vaut le coup d’essayer! Il fait venir l’équipe, qui lui explique sa méthode et promet de le rembourser si les résultats ne suivent pas. Les mélodies utilisées ne sortent pas d’un chapeau. Elles ont été conçues sur mesure, sur la base des travaux de Joël Sternheimer. Depuis près de 40 ans, ce docteur en physique théorique, féru de musique et ancien conseiller scientifique de la Cité des sciences, se consacre à l’étude de certaines séquences de sons sur le vivant. « Les avancées de la physique ont montré que les particules élémentaires peuvent présenter deux aspects : corpusculaire et ondulatoire », rappelle Pedro Ferrandiz, biologiste et directeur de Genoclics. Les végétaux, comme tout organisme vivant, sont composés de protéines, elles-mêmes constituées d’une série d’acides aminés. «Lorsque ces derniers se combinent pour former la protéine ils émettent au niveau cellulaire une suite de fréquences sonores, qui constitue la « mélodie spécifique » de chaque protéine » poursuit Pedro Ferrandiz.
L’idée de Joël Sternheimer fut d’identifier ces séquences, qu’il nomma «protéodies», puis de les reproduire en les abaissant de plusieurs octaves pour qu’elles deviennent audibles à l’oreille humaine, et de les diffuser à proximité des cultures. «Il a fait le constat qu’elles avaient une influence sur la production de protéines, précise Pedro Ferrandiz. Il y a dans la synthèse de celles-ci des mécanismes ondulatoires. »
Les protéodies fonctionneraient comme un code morse: par résonance, via les ondes qui relient les différents échelons du vivant et leur permettent d’échanger de l’information, elles enverraient un message au niveau cellulaire, à même d’instaurer une forme de communication avec le vivant, dans le but d’intervenir dans la synthèse protéique et de réguler ainsi certains processus biologiques.
De la vigne aux salades.
Soutenir la croissance des cultures maraîchères, développer la résistance des légumes au chaud ou au froid, lutter contre des virus ou des bactéries... « Dans le cas de la tavelure, nous avons d’abord mené une étude bibliographique sur le champignon, ses protéines et les mécanismes des pommiers, afin d’identifier un groupe de protéines sur lequel travailler», détaille Pedro Penandiz. L’équipe les a ensuite étudiées sous un angle «musical, vibratoire», afin d’en identifier les homologies, les interactions et les effets secondaires possibles. « Cela nous a permis d’en éliminer certaines et d’en retenir d autres, précise Pedro Ferrandiz. Après, il faut essayer !»
Car l’entreprise est encore très expérimentale. Pour convaincre du bien-fondé de la méthode, il faut faire des tests, jusqu’à mettre au point le bon mode opératoire. «Notre principale réussite est la lutte contre l ’esca, un champignon qui tue les corps par apoplexie», indique le directeur de Genodics. Depuis l’interdiction du traitement à l’arsénite de sodium, toxique pour l’homme et pour l’environnement, le fléau proliférait. Les quelques centaines d’expérimentations «protéodiques» qui ont été menées chez une centaine de vignerons ont fait l’objet de 284 évaluations en neuf ans. Les comptages réalisés avant et après l’application du procédé montrent une réduction du taux de mortalité des vignes contaminées de 60 à 70 % en moyenne.
Aujourd’hui, 120 cultivateurs, dont 90 vignerons, diffusent des protéodies sur leurs cultures. Près de Pont-l’évêque, le maraîcher Christian de Koninck les utilise pour ses salades. « je cherchais à avoir moins de maladies, sans passer par les traitements chimiques conventionnels», explique-t-il en janvier 201 dans un reportage de France 3. Certains ont ricané. . . Mais «pour la première fois en 20 ans », la pression des maladies a diminué. Depuis, même si les résultats sont «plus ou moins bons selon les saisons », il reste fidèle à la méthode : «Avant, au milieu de l'hiver on ne récoltait que 30 % des salades, aujourd’hui 70 à 80 %! », se félicite-t-il.
La voie de l’expérimentation.
À Jumelles, Sylvain Kupperoth constate lui aussi des résultats. «Depuis quatre ans, nous utilisons toujours la même séquence sonore, qui combine des protéodies destinées à inhiber la tavelure et d’autres e soutenir les mécanismes de défense des pommiers », précise-t-il. Trois diffuseurs perchés en hauteur, alimentés par un panneau solaire, couvrent six hectares de culture. D’année en année, il compare les résultats des pommiers exposés à la musique à ceux qui ne l’ont pas été. Une rangée a même été traitée uniquement par protéodies, sans fongicides; sur d’autres, il a diminué de moitié l’usage de fongicides.
Dès la première année, la différence était visible. «De manière étonnante, la rangée sans fongicide n’avait que quelques taches de tavelure, rapporte l’arboriculteur. Et l’état des pommiers ayant conjugué 50 % ale traitement chimique et 50 % de protéodies était similaire à ceux traités uniquement par fongicide. » L’année suivante, très humide, fut moins enthousiasmante: les pommiers n’ayant reçu aucun traitement chimique furent sévèrement atteints par la tavelure, mais ceux qui n’avaient reçu qu’une diffusion de fongicide sur deux résistèrent plutôt bien.
Depuis, pas à pas, les expérimentations se poursuivent. Les paramètres sont complexes. Comment s’assurer de la qualité de la diffusion, fluctuante au gré du relief et des bruits alentours? Faudrait-il augmenter le niveau sonore?
Affiner le contenu des séquences? Accroître la fréquence et la durée des diffusions ? « Une de nos préoccupations est aussi l impact sur l’homme, rapporte Pedro Ferrandiz. On vérifie systématiquement qu’il n’y a pas de contre—indication. Dans le car de l ’esca, l’une des protéodies utilisées peut favoriser la circulation sanguine. Cela peut être bon pour certains, mais mieux vaut ne pas s’y exposer si l’on est hémophile. »
Cette année, Pedro Ferrandiz et Sylvain Knpperoth se sont aussi lancés dans un nouveau test. «Depuis fin avril, sur un bout ale parcelle, nous diffusons des protéodies en continu, douze heures par jour», expliquent-ils.
Objectif?
Observer leur effet sur la vigueur des arbres, leur allure et la saveur des fruits — afin de déterminer si une diffusion extensive sur l’ensemble du verger ne serait pas nuisible. « Chaque que nous avons pu le vérifier de manière fiable, nous avons noté des différences de goût dans les fruits et les légumes cultivés au son des protéodies», souligne Pedro Ferrandiz. L’équipe a eu l’occasion de faire goûter à l’aveugle à un panel de chefs cuisiniers des courgettes classiques et d’autres soumises à des protéodies conçues pour lutter contre un virus. « Ces dernières étaient plus sucrées on l’a mesuré de façon précise», indique Pedro Ferrandiz. Peut-être «parce qu’en titillant le mécanisme ondulatoire de la plante, on titille tous ses mécanismes, avance-t-il. Du coup, elle se porte globalement mieux. »
Ancien directeur marketing et communication d’Alter Eco, Laurent Muratet s’est amusé à tester sur du chocolat l’effet de séquences sonores conçues par un chercheur. «Au départ; les molécules du chocolat apparaissaient collées les unes aux autres, comme si elles avaient été stressées par les conditions de culture, de transformation et de distribution, raconte-t-il. Après diffusion, elles étaient moins agglomérées. » Une centaine d’invités, dont une spécialiste du cacao, ont goûté le chocolat ainsi « dynamisé ». « Sa texture était plus souple, son arôme plus ample et complexe», relate-t-il.
Une conscience du vivant.
Autrefois, les paysans fredonnaient ou imitaient le chant des oiseaux pour soutenir la croissance de leurs plants.
Dans certaines cultures, les chamanes chantent des mélodies capables de soigner. Et que penser de cet agriculteur mexicain qui récolte chaque année des légumes géants, obtenus sans pesticides ni fertilisants industriels? Lui ne leur joue pas de la musique: il leur parle. Dans le documentaire L’Homme qui parle avec les plantes d’Yvo Perez Barreto, le paysan dit avoir appris, à force de contact avec la nature, d’observation et d’intuition, à «demander à la plante de quoi elle a besoin et ce qui lui est superflu», ainsi qu’à ressentir les perturbations. Aujourd’hui, le rendement de ses plants d’oignons peut atteindre 110 tonnes par hectare — alors qu’il est en moyenne, dans la région, de 16tonnes par hectare. Ses pieds de maïs montent jusqu’à 5 mètres, ses choux pèsent 45 kilos!
Le ministère de l’Agriculture mexicain a fait analyser sa terre, son eau, ses semences, ses légumes : rien à signaler.
La plus importante université d’agronomie du pays a étudié le processus très ritualisé qu’il utilise : planter à 20 centimètres de profondeur, au lieu des 7 à 8 recommandés par les semenciers; refermer les sillons en douceur pour protéger la terre; utiliser du manganèse pur comme fertilisant, alors qu’il est plutôt censé brûler les cultures...
En suivant ces méthodes, l’université a multiplié par trois ses rendements moyens. Mais pour Don José Carmen, tout est surtout affaire de confiance: croire en soi, en la nature, en ses capacités insoupçonnées; être à son écoute, tâcher de travailler avec elle en bonne intelligence, dans une optique de dialogue et d’équilibre, plutôt que de maîtrise et de conquête. . . « Il ne s’agit pas d’éradiquer la tavelure, mais de la faire vivre avec le pommier; confirme Pedro Ferrandiz. Quand je l’inhibe il faut qu’elle soit d accord. On passe une information au végétal; ce qu’il en fait, c’est une autre paire de manches. . . » Pour Joël Sternheimer, il est urgent de réintroduire la notion de sujet à tous les niveaux du vivant.
« La physique quantique a démontré que l’observateur influe sur le résultat de sa mesure, rappelle Pedro Ferrandiz. Le vivant est en interaction permanente. Quel est le rôle du cultivateur? Celui du pommier? Du champignon s’ C’est difficile à dire. . . » Il ne s’agirait donc pas tant de contrôler la plante que d’entrer en contact avec elle et de lui proposer quelque chose. « La méthode ne fonctionne que si l’organisme concerné apparaît capable, à l’écoute, non seulement d’entrer en résonance avec les vibrations, mais aussi de percevoir l’information contenue dans la succession de fréquences et d’intervalles, confirme Michel Duhamel, président de Genodics. Ceci remet le sujet au centre de la pratique en lui demandant de sélectionner lui—même ce qui lui convient. »
De quoi nous inviter à revoir notre relation au vivant: oui, des champs d’information nous relient. Oui, la plante est capable de choix. Oui, notre attitude peut jouer. Comment en faire bon usage? Genodics poursuit ses essais, mais ses chercheurs manquent de moyens. Leurs expérimentations laissent sceptique la communauté scientifique. Personne à l’Inra ne s’est pour l’instant penché sur le sujet. Le projet survivra-t-il à Joël Sternheimer?
«Seul un laboratoire de physiologie végétale de Cergy-Pontoise travaille avec nous depuis quatre ans, dans l’objectif de réaliser des publications», pointe Pedro Ferrandiz.
Sur le terrain, c’est par leur efficacité que les protéodies parviendront (ou non) à s’imposer. «L’enjeu pour moi est de parvenir à confirmer les premiers résultats, circonscrire la technique et diminuer les fongicides, en étant enfin sûr de tenir un moyen d’endiguer la tavelure», conclut Sylvain Kupperoth.
Des protéodies contre les acouphènes. Médecin ORL depuis 40 ans, le Dr Jacques Aime s’intéresse à l’application des protéodies à l’être humain. En 2015, il a mis en place une expérience clinique de thérapie sonore fonctionnelle auprès de patients souffrant d’acouphènes. «Il n’existe pas encore de traitement à cette pathologie, explique-t-il. Elle affecte 2 à 5 millions de Français; 500 000 s’en trouvent handicapés.» Après une formation sur la biosynthèse des protéines et la manière dont les protéodies peuvent la moduler, le médecin a lancé un protocole de trois mois, sur un panel de cent personnes. «Je leur ai fait écouter une quarantaine de protéodies, précise-t-il. Si la séquence leur plaisait; on la gardait.
Sinon, on la mettait de côté. Chacun a ainsi sélectionné intuitivement entre 10 et 20 séquences, d’une durée totale d’une dizaine de minutes», puis a dû les écouter trois fois par jour pendant un mois, puis chaque soir durant deux autres mois.
Résultat?
10% des patients ont estimé que la gêne occasionnée par les acouphènes avait totalement disparu. 50% ont fait part d’une amélioration «nette ou moyenne». Le médecin est optimiste, mais il faudrait désormais pouvoir étendre les recherches...
Source : Inexploré n°36 automne 2017.
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