Le temps serait-il devenu le nouveau graal de notre époque, denrée rare, et monnayable? Comment nous libérer de son emprise, décélérer et revenir à l’essentiel ? Enquête...
« Le temps s’emballe, et s’écoule à mille à l’heure. Prenons le temps qu’il faut, tout se ralentit, on commence à souffler » chante Tal, figure emblématique d’une nouvelle génération affairée. « Entrons dans la boucle du temps », propose Kevin Finel, praticien en hypnose lors d’un concert singulier de Geoffrey Secco, un saxophoniste de pop-électro-jazz à consonance chamanique, nous invitant à un voyage collectif « temporel » sous hypnose. Le temps serait-il devenu le nouveau Graal de notre époque, denrée rare, et monnayable. Le temps nous manque, nous échappe, nous courrons après, tel le lièvre d’Alice au Pays des Merveilles. Pourquoi en sommes-nous devenus prisonnier ? Comment nous libérer de son emprise, décélérer et revenir à l’essentiel ?
Temps : entre linéarité et performance !
« Nous semblons contraints à une folle course contre la montre, et nous pouvons avoir une sensation d’impuissance à maîtriser le temps » observe Kevin Finel, qui en constate les méfaits sur ses patients. Ce stress croissant proviendrait en partie de notre construction linéaire du temps. Pour Olivier Lajous, consultant en entreprises, auteur de l’Art du temps (Ed L’Harmattan), « nous avons construit une représentation du temps rythmé par nos horloges, nos agendas, nos horaires d’activité ». Notre temps devenu artificiel est aujourd’hui contenu dans des cases horaires que notre mode de vie frénétique a rendu extensibles : le temps de travail déborde sur la nuit, les week-ends… Nous sommes pour ainsi dire en permanence à flux tendu. Par ailleurs, selon Olivier Lajous, « nous nous sommes adaptés à ces constructions abstraites en découpant nos vies en tranches : temps de travail, temps de sommeil, temps de loisirs, temps de vacances… » Nous enfermant littéralement dans un système ne tolérant aucun imprévu, ou respiration.
Par ailleurs, notre temps est devenu productif, essentiellement tendu vers un but. « Pour exister, dans notre société de performance, le temps doit être optimisé, travailler plus, gagner plus, consommer plus, être plus » poursuit Kevin Finel. Avec des conséquences sur la santé importantes : le bilan se monterait à environ 490 000 cas de burn out professionnel en 2015 (source : bulletin épidémiologique publié par la santé publique). Changer notre rapport au temps pourrait bien devenir une priorité.
Un besoin d’immédiateté !
Nous vivons dans une époque d’immédiateté ! A la sensation de manquer de temps, s’ajoute celle d’une « étrange » accélération. « Elle pourrait provenir de la multiplication de l’accès aux informations du monde entier, quasi en temps réel, qui modifie sans cesse notre rapport au temps et à la distance » analyse Kevin Finel. Par ailleurs, le rythme des innovations technologiques et scientifiques s’est considérablement accru, créant une sorte de vertige. « Il semblerait que notre temps humain doive se plier à celui de la technologie qui lui va de plus en plus vite, entraînant une sensation d’urgence permanente » poursuit le praticien en hypnose. Entre Smartphones, et tablettes, nous sommes devenus joignables à tout moment, que ce soit personnellement ou professionnellement. « Or ce mode de vie basé sur l’immédiateté amène un sentiment d’insatisfaction croissant, d’autant plus qu’il devient difficile de répondre à toutes les sollicitations extérieures. D’où une forte sensation d’asphyxie » déplore Kevin Finel, entraînant un irrépressible besoin de souffler !
Et sur le plan de la physique, comment expliquer cette présumée accélération du temps ? D’après Morvan Salez, docteur en astrophysique et techniques spatiales : « le temps subjectif, vécu avec toutes ses bizarreries d’accélération et de décélération, et le temps de la physique qui est décrit par une variable T dans une équation ne sont pas les mêmes. Le temps est une notion dont la perception est illusoire, et qui peut même disparaître de certaines équations, comme le décrit le physicien italien Carlo Rovelli, dans son livre "Le Temps n’existe pas" (Ed Dunod). Ce lien entre les deux temps reste mystérieux. Il semblerait que nous soyons bel et bien « prisonnier » de cet instant présent, qui s’écoule inéluctablement du présent vers le futur, et la sensation d’accélération proviendrait d’un point de vue psychologique, totalement subjectif qui ne s’explique pas du point de vue scientifique ».
Un retour au temps cyclique pourrait nous offrir des pistes de changement.
Le temps cyclique des peuples racines
Un retour au temps cyclique pourrait nous offrir des pistes de changement, pour se libérer de ce rapport toxique au temps. « Le temps des peuples racines est inscrit dans la nature où ils vivent, pour cette raison il est cyclique, comme l’est le vivant » a pu observer Frederika van Ingen, lors de son enquête (Sagesses d’Ailleurs pour vivre aujourd’hui. Ed Les Arènes). Ainsi, le temps va et vient dans un ultime recom-mencement à chaque tour enrichi, comme une spirale, et doit donc être vécu, puis un jour se transmettre pour rendre possible le futur, celui des générations à venir. Dans ce va et vient permanent cérémonies et rituels créent des espaces de reliance, de partage, rythment le temps de façon naturelle, et donnent du sens. S’affranchir de cette aliénation au temps, est possible, d’après Frederika van Ingen : « Nous pouvons nous accorder à nouveau aux rythmes naturels, ceux de nos besoins de réflexion, de maturation, avant de lancer des projets, en respecter les temps nécessaires de la croissance, et de réalisation, comme le propose le rythme des saisons, par exemple. »
Le temps, un invité avec qui dialoguer en Chine.
« Pour une personne familière de la tradition chinoise, le temps est un compagnon s’invitant pour une année, selon un cycle spécifique, avec une personnalité précise » explique Marie-Pierre Dillenseger, spécialiste des arts chinois appliqués au temps et à l’espace, auteur de la Voie du Feng Shui (Ed Interéditions) par exemple s’ouvre sous le signe du Coq de feu, signe de l’Eveil. « Si vous savez qui s’invite chez vous pendant un an, vous pouvez vous préparer, et planifier en conséquence », poursuit notre expert. Le temps devient alors une force décodable dans lequel il est utile d’investir et avec lequel dialoguer. D’autre part, en Chine le temps est aligné sur des données astronomiques, « il est normal de considérer les forces naturelles comme des facteurs agissants » commente Marie-Pierre Dillenseger. Pour les Orientaux un planning décidé par un seul individu, est un signe à la fois d’ignorance de sa place dans l’univers, et de prétention. Si chez nous les dates de réunion sont en général choisies quand la salle de réunion est libre, en Chine la question du bon jour se pose. Une correspondance particulière entre l’événement et la date d’alignement des planètes, ou même de la Lune est importante. Le « bon moment » est invité à la réunion, pour créer des opportunités favorables.
En pratique : des pistes pour apprivoiser le temps.
Se libérer des croyances sur le temps !
S’extirper d’un mode linéaire demande d’élargir son champ d’action sur le temps. Kevin Finel propose de se libérer de son passé : « Plus on considère que notre passé nous définit, plus notre identité reste scellée sur d’anciens schémas, figeant ainsi notre avenir ». Notre mémoire est très subjective, nous laissant peu d’ouverture pour nous réinventer, et peu de temps pour y parvenir, avec ce stress qu’on connaît bien. Se libérer commence par faire le deuil d’un passé révolu. « La pratique des états de conscience modifiés peuvent changer notre rapport au temps ! » poursuit le praticien en hypnose. La transe hypnotique déconstruit notre vision habituelle, nous pouvons consciemment voyager dans le passé, nous projeter dans l’avenir. S’autoriser à considérer que le passé est multiple, permet de s’en détacher, et nous rend disponible au présent, ouvrant ainsi de nouveaux espaces temps.
Introduire de la nouveauté dans le champ expérientiel peut élargir le temps
Sortir de la routine !
Dans une étude (2009), les deux psychologues William Friedman et Steve Janssen, de l’Université de Nottingham, ont pu établir que les êtres humains jaugent le temps selon le nombre d’évènements dont ils peuvent se remémorer. Les évènements significatifs s’imposent comme des repères dans le temps. Moins il y en a, plus le temps semble passer rapidement. Nous nous souvenons plus clairement de nouvelles expériences. « Plus nous sommes enfermés dans une routine, plus le temps semble s’accélérer, les jours se suivent et se ressemblent, se superposant dans la mémoire et constituant une seule et même expérience » affirme Kevin Finel. Introduire de la nouveauté dans le champ expérientiel peut élargir le temps, et nous donner la sensation qu’il s’écoule plus lentement. Déjouer nos mécanismes de routine peut se faire par de petites choses au quotidien (un nouveau trajet, un endroit pour déjeuner, une activité). Tous les micro changements vont « ouvrir » le rapport au temps.
S’immerger dans le flow par Mielczareck.
Pour sortir de la tyrannie du temps, le chercheur d’origine hongroise Mihaly Csikszentmihalyi (Vivre. La psychologie du bonheur. Ed Robert Laffont), propose de s’immerger dans le flow, (littéralement, le flux), ou encore l’expérience optimale. Elle survient quand nous sommes à ce point absorbé par une activité, que l’on ne voit plus le temps passer. Le temps s’étire, nous sommes littéralement hors du temps ! Comme si nous ne faisions qu’un avec ce moment ! Pour le chercheur, « cet état de concentration maximum s’accompagnerait alors d’un sentiment d’accomplissement et de bien-être ». En d’autres termes, nous nous dégageons de l’emprise stressante du temps quand nous sommes entièrement engagés. Des études réalisées à l’Université de Chicago et de Milan, lui ont permis d’établir que les personnes qui sont investies en temps et en énergie dans une activité, en état d’expérience optimale, gèrent mieux leur stress, et développent de plus grandes capacités, et une meilleure estime de soi. Par ailleurs repérer ses expériences optimales, où le temps semble s’arrêter ou s’allonger, pourrait bien nous donner des indications sur ce qui est essentiel, un fil conducteur pour donner réellement un sens à sa vie.
Source : INREES – Inexploré 3/02/2017
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