Surgie de façon indépendante dans des mondes éloignés les uns des autres, l'écriture répond à des besoins plus complexes que l'administration d'États naissants.
Le premier ?
Un juriste de Mésopotamie, vers 3300, rédigeant un contrat entre des particuliers. Un scribe égyptien de l'entourage royal, un ou deux siècles plus tard. Mais aussi, un habitant de Suse, dans le sud-ouest de l'actuel Iran, au tournant des IV° et III° millénaires, dont l'écriture reste indéchif-frable, tout comme l'est celle des Harappéens de la mystérieuse civilisation de l'Indus, vers 2500, ou des Crétois de la première moitié du II° millénaire... Et encore, vers 1300, un mage chinois qui, pour assurer la conformité de rites divinatoires, inscrit sur des carapaces de tortue la suite strictement codifiée des opérations à effectuer. Sans oublier en Amérique centrale les Zapotèques et Olmèques à partir de 400, précédant les Mayas. Toutes ces dates s'entendant, bien sûr, avant l'ère chrétienne.
Pour les Égyptiens, les hiéroglyphes exprimaient l'essence même d'une personne ou d'une chose. C'est pourquoi ils ont toujours conservé leur caractère figuratif.
Sept fois, selon les connaissances actuelles, l'écriture a surgi de façon autonome, sans que les graphies ainsi inventées aient un lien entre elles dans la forme, mais aussi dans la fonction. Car la vieille thèse qui liait l'écriture à de simples impératifs bureaucratiques ou commerciaux a fait long feu. « Il faut absolument se débarrasser d'idées simplistes selon lesquelles elle serait née uniquement de nécessités administratives », insiste l'égyptologue Pascal Vernus, directeur d'études à l'École pratique des hautes études. Certes, l'écriture a servi de moyen de contrôle des biens comme des personnes.
« Mais regardez l'empire Inca: un territoire long de 3 000 kilomètres, et aucune écriture!
Et songeons au tifinagh des Touaregs: le soir, au campement, les jeunes gens se réunissent pour faire des concours de devises. Ils les tracent sur le sable avant de les effacer. Il s'agit d'une écriture purement ludique. » En réalité, « le mystère de l'invention de l'écriture demeure entier », renchérit Jean-Jacques Glassner, directeur de recherches au CNRS, spécialiste de la Mésopotamie où ont été retrouvés, à Uruk (actuel Irak), les premiers témoignages écrits: des tablettes administratives du temple de l'Eanna datant de 3300. Le spécialiste a cependant une certitude: l'écriture n'a pas été créée « pour résoudre de banales questions de comptabilité. »
En Égypte, c'est l'idéologie qui a poussé à la création du système hiéroglyphique, vers 3150 : les prédécesseurs des pharaons décident d'affiner l'expression graphique de leur pouvoir, symbolisé jusqu'alors par l'image de la façade du palais, le serekh. Ils en viennent à désigner la personne détenant ce pouvoir en écrivant son nom à l'intérieur de l'emblème. Les premières traces d'écriture se lisent ainsi sur des palettes, des vases, des scellés et des pans de rocher. Quant aux Mayas, leurs inscriptions avaient vocation à commémorer le souvenir des victoires du roi et les sacrifices qu'il avait offerts aux dieux. Tous les mondes possibles Ces premières écritures associent en général des signes représentant des objets identifiables, ayant valeur soit d'idéogrammes, soit phonétique.
Certaines conserveront jusqu'à la fin un caractère figuratif, comme les hiéroglyphes égyptiens. D'autres, telles les graphies chinoises ou sumériennes, se feront au fil du temps cursives, à l'image des signes mésopotamiens qui, de plus en plus stylisés, donneront naissance à un nouveau style d'écriture, le cunéiforme. Toutes ont coexisté avec des systèmes de signes plus restreints, vieux parfois de 30 000 ou 40 000 ans, qui permettaient de dénoter graphiquement des objets ou des idées sans pour autant, comme l'écriture au sens fort, être « capables d'exprimer tous les mondes possibles », selon les mots de Pascal Vernus.
Source : Hors-série sciences et avenir i janvier / février 2017 (Florence Leroy)
de gauche à droite :
hammurabi, Mésopotamie - trois exemples Harappéens - tablette administrative du temple de l'Eanna