Après la télévision en 2011, Michel Desmurget, chercheur en neurosciences, a compulsé des centaines d’études internationales sur les effets des écrans sur les enfants. Il pointe leurs dangers dans La Fabrique du crétin digital *. Sur le terrain les spécialistes dressent le même constat. Plus les enfants passent de temps devant la télé, moins leur QI verbal est élevé.
Les nouveaux doudous
Le smartphone donné à bébé pour le calmer : tous les professionnels de la petite enfance ont été témoins de cette scène. « C’est devenu un peu la sucette », note le Dr Véronique Ronzière, directrice de la PMI (Protection maternelle et infantile) de la Métropole de Lyon. Lors des visites à domicile, ces professionnels voient aussi la télévision allumée en permanence, le poste dans la chambre dès 6 ans ou l’absence totale de jeux traditionnels. « Certains n’ont jamais lancé un dé, on leur propose des coloriages mais ils disent qu’ils n’ont pas de crayons à la maison », raconte Véronique, orthophoniste.
Le temps consacré aux écrans étant en moyenne plus long dans les foyers défavorisés, c’est devenu un facteur d’inégalités.
Des retards de développement
Ces abus sont à l’origine de retards de développement mesurés par les études internationales citées par Michel Desmurget dans La Fabrique du crétin digital. Regarder la télévision avant 3 ans est associé à un retard du développement cognitif vers 6-7 ans avec des effets sur l’attention, la créativité, les fonctions exécutives…
Donner une tablette à un tout-petit entrave sa motricité fine, comme le constate le Dr Anne-Gaële Verstraete, médecin de PMI, frappée par « le faible développement des capacités manuelles » de certains enfants de 3-4 ans qui peinent à tenir un crayon. D’autres « font le geste de diminuer ou d’augmenter l’image quand on leur met dans les mains un album jeunesse », rapporte aussi le Dr Ronzière.
Moins d’échanges, moins de mots
Le développement de l’enfant passe par la richesse de ses interactions avec les adultes. Or, l’omniprésence des écrans diminue de manière drastique les échanges en famille. Après avoir équipé des enfants âgés de 2 à 48 mois d’enregistreurs, des chercheurs ont constaté qu’ils entendaient en moyenne 925 mots dans une journée mais que ce score tombait à 125 mots quand la télé était allumée. À 18 mois, chaque demi-heure passée devant un appareil mobile multiplie par 2,5 la probabilité d’un retard de langage. Quant aux 6-16 ans, plus ils passent de temps devant la télé ou les jeux vidéo, moins leur QI verbal est élevé.
Déficit de sommeil : des effets en cascade Les écrans volent aussi du sommeil : retards et difficultés d’endormissement, réveils nocturnes dus aux SMS et alertes… Et ces atteintes ont des «effets en cascade» car elles affectent d’abord la mémorisation et l’apprentissage puis, avec un effet retard, la maturation cérébrale et le système immunitaire. Ce déficit favorise aussi l’obésité comme le manque d’activité physique et l’exposition aux publicités pour des boissons et des aliments sucrés dus aux écrans.
Bob l’éponge rend plus impulsif
Manque de sommeil et abus d’écrans augmentent aussi l’impulsivité, comme l’a confirmé une étude canadienne parue en août. En 2011, une expérience avait déjà montré que des enfants de 4-5 ans, soumis à un épisode rythmé de Bob l’éponge, avaient plus de mal à résister à une récompense rapide plutôt que d’attendre quelques minutes une récompense plus importante.
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À l’école : plus distractifs qu’instructifs
En 1913, Thomas Edison prédisait que le cinéma allait rendre les livres obsolètes, avant que la radio puis la télévision ne soient aussi supposées révolutionner l’école, raille Michel Desmurget. Aujourd’hui, des études pointent les résultats décevants du numérique à l’école. « Il y a peu de preuves solides montrant qu’un usage accru des ordinateurs par les élèves conduit à de meilleurs scores en mathématiques et lecture », relève l’enquête Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). À l’université, deux sonneries de portable suffisent à faire chuter de 30 % les bonnes réponses à un test tandis que la seule vue d’un téléphone éteint diminue la concentration.
En 2018, le réseau wifi de l’université Lyon 3 avait été saturé, non pas par des recherches documentaires… mais par un usage massif des réseaux sociaux et de Netflix.
« Nos enfants, la 1ère génération dont le QI sera inférieur à la précédente »
Michel Desmurget , directeur de recherche à l’Inserm, auteur de « La Fabrique du crétin digital », dresse les effets néfastes des écrans sur nos enfants. La télévision allumée en permanence, le poste dans la chambre dès 6 ans ou l’absence totale de jeux traditionnels sont des abus à l’origine de retards de développement.
Après la télévision en 2011, Michel Desmurget, chercheur en neurosciences, a compulsé des centaines d’études internationales sur les effets des écrans sur les enfants. Il pointe leurs dangers dans « La Fabrique du crétin digital ». La télévision allumée en permanence, le poste dans la chambre dès 6 ans ou l’absence totale de jeux traditionnels sont des abus à l’origine de retards de développement mesurés par les études internationales citées par Michel Desmurget. Regarder la télévision avant 3 ans est associé à un retard du développement cognitif vers 6-7 ans avec des effets sur l’attention, la créativité, les fonctions exécutives…
Votre livre est un cri de colère.
Contre quoi êtes-vous en colère ?
Ma colère vient du décalage entre ce qu’on dit aux parents et la réalité. Il y a une telle distorsion entre ce que l’on sait et ce qui est traduit dans les médias où l’on observe une surreprésentation des minoritaires. Il se passe actuellement ce qu’il s’est passé avec le tabac, l’amiante, le changement climatique… C’est la première génération dont le QI va être inférieur à la précédente. Avec la surconsommation d’écrans, vous touchez au langage, au sommeil, à l’activité physique… tout ce qui est essentiel au développement. Vous allez toucher à tout ce que l’évolution a mis des millions d’années à façonner. Notre cerveau est un bon vieux cerveau. C’est encore un cerveau de vieux con… même chez les enfants ! Il n’est pas fait pour qu’on le bombarde comme ça sensoriellement, qu’on lui prenne du temps de sommeil, d’interactions…
Qu’est-ce que vous espérerez avec ce livre ?
Que les parents soient honnêtement informés. Ils aiment leurs enfants. Si on leur dit « ça c’est positif », ils le font. Je me fous qu’il y ait une législation comme à Taïwan où vous êtes verbalisés si votre enfant de 2 ans joue avec une tablette car ils considèrent cela comme de la maltraitance développementale. Dans son rapport, remis en juin au ministère de la Culture, la psychanalyse Sophie Marinopoulos parle de « malnutrition culturelle ». Ce concept me parle. Il faut qu’on nourrisse nos gamins comme il faut, qu’on arrête de faire passer l’intérêt économique avant l’intérêt des enfants.
Qu’est-ce qui vous a le plus choqué à la lecture de toutes ces études ?
C’est la masse d’études convergentes, quels que soient les méthodes et les usages retenus. Il est toujours mal vu de parler de certitudes en sciences mais quand même… on sait ce dont l’enfant a besoin et que ce qu’on lui propose aujourd’hui, ce n’est pas ce dont il a besoin.
Fortnite, parfait pour rater une année scolaire
«Je n’ai jamais vu un jeu aussi addictogène», s’effare le Dr Olivier Revol. «Je n’ai jamais vu autant d’enfants rater une année de CM2, de 6e , de brevet, de bac et même de première année de fac à cause de ce jeu. Je n’ai jamais vu un jeu aussi addictogène que Fortnite», s’effare le Dr Olivier Revol, chef du service de psychopathologie du développement de l’enfant au CHU de Lyon.
Interdit aux moins de 12 ans
Le classement Pegi, qui évalue les jeux selon leur violence et leur contenu choquant, interdit Fortnite aux moins de 12 ans, mais beaucoup d’enfants y jouent dès le CM2 car les parents ne regardent pas ce classement.
Pourtant, le Dr Revol reconnaît des qualités à certains jeux « qui apprennent à maîtriser les risques, à se maîtriser avec une guilde qui donne un cadre, à accepter les échecs ». Il recommande aux parents de s’intéresser à ces jeux et de « renforcer le cadre » avec les enfants à risques. « Le jeu vidéo ne rend pas hyperactif mais le TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) incite à toutes les addictions », souligne le pédopsychiatre. Bien plus critique, le chercheur en neurosciences Michel Desmurget explique que ces jeux ne permettent en rien d’améliorer des capacités cérébrales car ils développent des savoirs hyper-spécifiques qui ne sont pas transférables : « Jouer à Super Mario apprend principalement à jouer à Super Mario, pas à être meilleur en maths. »
Pire, les jeux de tirs à la première personne comme Call of duty entraînent une hypotrophie de la matière grise dans l’hippocampe inquiétante car ce déficit est associé au développement de pathologies psychiatriques comme la schizophrénie et la dépression. Michel Desmurget s’inquiète aussi des méfaits de la violence, rappelant que « des centaines d’études ont toutes infirmé l’hypothèse cathartique ». « Comment penser que ce déchaînement de violence et de sexisme ne va pas affecter la représentation du monde des enfants ? », s’interroge le neuroscientifique, citant notamment Grand theft auto.
Parents, voici les bonnes pratiques.
Pas d’écran avant 2, 3 ou 6 ans ? Les avis divergent. L’Association française de pédiatrie ambulatoire a repris à son compte la règle du psychiatre Serge Tisseron : pas de télé avant 3 ans, pas de console de jeux personnelle avant 6 ans, internet après 9 ans et les réseaux sociaux après 12 ans. Après avoir longtemps recommandé le «pas d’écran avant 2 ans», l’Académie américaine de pédiatrie estime désormais que les petits peuvent regarder à partir de 18 mois, «certains programmes de qualité» si les parents sont à côté et interagissent avec eux. Elle conseille une limite à une heure par jour chez les 2-5 ans. L’Organisation mondiale de la santé préconise, elle, pas d’écran avant un an et pas plus d’une heure par jour chez les 2 à 4 ans.
Pour Michel Desmurget, c’est «pas d’écran avant 6 ans». « Nous sommes des êtres d’habitude et plus tôt l’enfant est confronté aux écrans, plus il a de risques de devenir un usager prolixe et assidu. Pour bien grandir, le jeune enfant n’a pas besoin d’écrans. Il a besoin qu’on lui parle, qu’on lui lise des histoires. […] Il a besoin de s’ennuyer, de jouer, de construire des maisons… », explique le neuroscientifique.
Entre 6 et 12 ans, Michel Desmurget recommande un maximum de 30 minutes/jours puis de 60 minutes après 12 ans. Selon les études, une consommation quotidienne inférieure à 30 minutes ne semble pas avoir d’effets négatifs et, entre 30 et 60 minutes, ces effets sont « assez faibles pour être tolérables », précise le chercheur.
Si les durées d’exposition restent l’objet de débats, certains points font consensus : pas d’écran dans la chambre, une surveillance des contenus (avec l’indicateur Pegi sur les jeux vidéo), pas d’écran avant l’école « car cela absorbe toutes les facultés d’attention » et une extinction au moins 1 h 30 avant le coucher.
Source : DNA mardi 17 septembre 2019
(*) La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants, Le Seuil, 20 euros.
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