Difficilement visibles, à un endroit habituellement réservé à des décors floraux ou animaux, deux frises symboliques se placent aux flancs nord et sud du massif des tours, à la hauteur du
premier étage, environ quinze mètres du sol.
La dimension initiatique, loin d'exclure la morale chrétienne, l'intègre parfaitement et la transcende. De prime abord, ces deux frises relèvent d'un langage clair qui est porteur de tout le message chrétien.
Ainsi, dans la frise sud, la « frise moralisante », la tradition a vu une « danse des sorcières » parce que des femmes aux corps mi-humains mi-monstrueux y jouent de différents instruments de musique. Pourtant d'autres personnages fantastiques ou naturels se battent ou se font caresser. Des monstres hideux insultent ou déchirent des hommes, un centaure combat un lion...
Le sens de la lecture se fait de droite à gauche, puisque nous venons depuis la Dormition de Marie, les statues emblématiques (Synagogue et Église), le transept Sud, ainsi que la mesure du temps. d'où la numérotation de droite à gauche.
La frise sud de Notre-Dame comporte douze scènes. Ce nombre de figures n'est pas dû au hasard. Douze est le chiffre qui caractérise le cycle. Il est utilisé en symbolique pour affirmer l'accomplissement d'un acte. C'est un chiffre qui indique qu'une étape est terminée. Cette étape peut être une vie, une rotation, une quête...
Note 1 : On retrouvera le nombre 12 dans de nombreux ouvrages à caractère spirituel mais aussi dans le monde physique : 12 mois de l'année, 12 travaux d'Hercule, 12 signes du zodiaque, 12 chevaliers de la Table ronde et, bien sûr, 12 apôtres.
Il est indéniable que le pèlerin devra parvenir au terme des 12 étapes de la frise pour mériter les enseignements de la statuaire des portails de la façade : Portail Sud droite, par exemple.
Note 2 : Le centaure évoque la "bête en l'homme". Il est souvent mi-homme, mi-cheval et ce n'est qu'après de durs combats qu'il perdra sa partie inférieure, s'il en sort vainqueur !
Le centaure est l'homme qui ne maîtrise pas les forces élémentaires qui constituent sa partie inférieure.
A l'opposé, l'homme-chevalier les dompte totalement et il tient fermement le licol afin de les diriger. Les centaures résument les messages des Pères de l’Église : la lutte contre soi-même, la dissolution (Solve) du vieil homme, ou plutôt de la bête en lui.
1. Le combat d'un centaure et d'un lion.
On commence par les combats de centaures, c’est logique, c’est notre vie, on se bat contre soi-même. Les animaux possèdent soit des pattes, soit des sabots, ce sont des principes alchimiques qui rappellent la dimension terrestre.
Scène d’un homme agrippé par des démons, en proie à ses démons : maîtrise ou non de ses pulsions.
2. Le jeu du bouclier.
Le centaure de gauche possède des pattes de lion et l'autre des pattes d'oiseau. L''alchimie nous fait comprendre que nous sommes ici en présence de la lutte du "fixe" avec le "volatil" ; processus de trans-formation qui voit s'affronter la dualité, corps et esprit, dans l'homme. Si l'esprit entame un chemin, souvent le corps montre ses faiblesses et, à l'inverse, si l'homme tente de se recentrer par le corps, fréquemment l'esprit l'entraîne sur des sentiers de perdition.
La victoire ne peut intervenir que par la fusion de deux principes ; fusion ici représentée par la queue du centaure à pattes d'oiseau dont l'extrémité ressemble à une flamme ardente.
3. L'homme déchiré par des chiens.
Un homme se fait dévorer par un monstre. Une autre bête féroce lui agrippe le ventre. Victorieux de sa dualité, l'homme avait perdu sa partie animale. Mais il ne pouvait crier victoire trop tôt. D'autres passions, plus dangereuses car enfouies au plus profond du subconscient, l'assaillent de nouveau et lui restitueront sa partie animale.
Cette allégorie est capitale pour notre quête. Il est vain de croire que tout est gagné car, au plus profond de nous, la bête est tapie et n'attend que le moment propice pour jaillir et nous dévorer, en nous entraînant à l'opposé de notre chemin spirituel.
4. La leçon de chiromancie.
Le personnage de droite tend la paume de sa main vers une femme, celle-ci accepte volontiers cette main offerte. En toute bonne foi, elle impose sa main gauche sur la tête du "consultant". Cette image est très reposante par rapport aux scènes de lutte que nous venons de traverser.
Tout est harmonie dans cette tentative de rééquilibrage des énergies effectuée par cette jeune fille douce et confiante...
5. Scène de ménage.
...Malheureusement cette scène montre l'homme tel qu'il l'est encore. Des forces sexuelles démoniaques jaillissent de sa personne. Ce tableau a transposé les deux personnages. La jeune fille s'est retournée vers la droite. La main est encore posée sur le front de l'homme cependant ce n'est plus la main gauche mais la droite qui cette fois semble repousser plutôt que transmettre. L'homme s'est entièrement dénudé et agrippe sa main gauche au sexe de la jeune fille. Cette scène est très moralisante. L'enseignant veut nous montrer que, malgré un début de quête prometteur, les bas instincts de l'homme sont toujours bien présents. Un nouveau combat de purification s'impose. Et l'homme redevient centaure à la scène suivante...
6. Centaure dresseur de chien.
...Cette étape montre un centaure battant tambour pour dompter un chien qu'il tient pourtant en laisse. Nous savons que le chien est l'animal "passeur d'âmes" par excellence. La laisse représente ici le "cordon" qui relie l'homme à son âme. Le chien-âme dresse l'oreille, il écoute l'appel que le centaure lui lance désespérément. Cet appel est effectué par un coup de tambour. Dans les traditions orientales, le tambour émet le son primordial, le début de la vie. En Occident, il est plutôt synonyme d'appel, ou de rappel à l'ordre. Le centaure rappelle donc son âme errante, car c'est unis l'un à l'autre qu'ils pourront progresser dans la quête.
7. Les joueurs de dés.
L'imagier a voulu sans doute nous ouvrir les yeux à l'aboutissement de jeux mal vécus : l'empoignade. Mais c'est également l'empoignade du vieil homme contre lui-même, autour de ce petit cube dont l'addition des faces opposées donne toujours un total de sept, tout comme les sept étapes qui viennent d'être franchies... Nous nous trouvons ici au milieu de la frise. Nous pouvons progresser ou reculer, voire même "sauter des étapes" si le hasard du dé veut bien nous les faire franchir ; analogie avec le jeu de l'oie qui ressemble tant à ce parcours initiatique, fait de pauses, de sauts en avant et de retours en arrière... La cathédrale est aussi un jeu de l'oie.
8 - 9. Centaures musiciens.
Les huitième et neuvième scènes représentent des centaures musiciens. L'un joue de la flûte, un autre de la viole, un troisième actionne un archet sur les cordes d'un luth, archet disparu avec le temps, tandis que le quatrième centaure bat la mesure.
A cette étape de la "dissolution", les centaures doivent se mettre en harmonie, à "l'unisson" pour continuer la quête. Plus de combat pour l'instant mais seulement l'accord de la musique. Le chef d'orchestre, un maître, abaissé à notre niveau de centaure tente d'éviter toute cacophonie. Tout comme le joueur de flûte des contes de fées, le centaure au pipeau essaie d'entraîner le joueur de viole vers l'arrière, de le faire régresser vers le début du chemin. Par contre, le chef d'orchestre régule la "musique" du joueur de luth. Ce dernier n'exerce plus avec sa propre main mais avec un instrument que le maître lui a donné. Cette allégorie est des plus significatives : les conseils, les "instruments" d'êtres un peu plus avancés sur la route initiatique sont indispensables pour notre progression. Il paraît utopique de vouloir se lancer seul et sans "béquilles" dans un chemin ésotérique. Ce n'est que bien plus tard que la solitude sera nécessaire, quand l'homme pourra discerner s'il est vraiment en accord avec Dieu. Avec l'aide du maître et de son "archet", l'homme nouveau, débarrassé de sa partie animale, pourra enfin naître. Cette nouvelle naissance reste cependant très fragile.
10. Centaure et amazone.
La dixième séquence montre une femme centaure tentant d'enlever un enfant. Un archer lui décoche une flèche pour l'en empêcher. La nouvelle naissance a eu lieu, mais l'animalité de l'homme s'accroche. Cette animalité, représentée sous les traits d'une femme au sourire sarcastique, est encore accentuée par la tête de lion qui forme la partie inférieure du corps. Cette femme ne veut pas que son "enfant" progresse et le retient vigoureusement. Nos mauvais instincts ne veulent pas nous lâcher aussi simplement. Pour nous délivrer du joug de la '"méchante femme", un autre personnage doit intervenir. Il ne s'agit pas du sagittaire car celui-ci est toujours centaure. Dans notre scène, l'homme se tient à califourchon sur le lion, c'est-à-dire que l'archer domine son animalité. Il l'a domptée et maîtrisée. L'archer est donc un être plus avancé qui peut constater les succès des combats précédents et venir clôturer les épreuves actuelles en annihilant d'une flèche les derniers bas instincts de l'homme nouveau. Remarquons que la flèche passe juste au-dessus de la tête, semblant ouvrir symboliquement le haut du crâne de l'enfant, là où les cabalistes placent la Sephira Kether et les orientaux le chakra coronal. Mais pour accéder à la façade, il nous faut encore faire preuve de courage et à nouveau livrer combat. A ce moment de la quête, il faut redevenir centaure car, même aidée, notre âme n'est pas suffisamment dépouillée pour recevoir des enseignements encore plus élevés.
11. Duel de centaures.
A la onzième étape, le centaure "nouvel homme" se retourne en arrière. Il est muni d'une verge et est prêt à combattre pour vaincre toute tentative de retour sur son pénible passé. Un autre centaure tente de forcer le passage. Ce centaure possède un visage de singe et lutte contre un ange, centaure lui aussi car il doit se placer à notre niveau. Il est le gardien de la dernière étape. Depuis la scène précédente, l'homme n'est plus seul à combattre. En effet, il est trop faible pour lutter lui-même contre les derniers remparts. Il faut également qu'il conserve l'humilité de se savoir encore centaure pour qu'il puisse progresser dans son pèlerinage initiatique. Les bons résultats acquis par les efforts précédents sont récompensés par le soutien de son maître. C'est celui-ci qui "ouvre les portes" de l'avenir.
12. Le juif et les démons.
Cette douzième partie de la fresque ne se présente pas dans le prolongement des onze précédentes mais se trouve à l'écart à gauche de l'ange défenseur ; c'est-à-dire qu'il faut faire un écart au chemin rectiligne pour la regarder. Cet écart peut être néfaste, car cette scène représente un homme assailli par de redoutables démons cornus. Notons que onze scènes sont dans le "droit chemin" et une seule se trouve à l'écart des autres. Ainsi, à ce stade de développement, tout écart conduit à l'intervention directe des démons, c'est-à-dire le retour immédiat au départ de la quête, et dans l'état initial de chute ! Tout est à refaire dans son intégralité : un rappel des cases 42 (labyrinthe) ou 58 (tête de mort) du jeu de l'oie ! Nous voilà sérieusement avertis.
Souvenons-nous toujours de la frise sud : nous l'avons débutée centaure et nous la terminons centaure, c'est-à-dire qu'à ce stade, la purification est loin d'être totale. Inlassablement, nous devrons rester vigilants envers la "bête" tapie au fond de nous-mêmes.
En conclusion à l'étude de cette fresque, admirons de nouveau les richesses de cette symbolique médiévale qui, à partir de quelques figures, nous alimente des journées entières de méditations.
Libre à chacun d'y trouver sa propre nourriture et son propre jugement.
Cette frise est destinée à l’initiation, l’éducation des gens mais on ne la voit pas bien. Avaient-ils une meilleure vue ? Cette frise se trouve à environ 15 mètres du sol ! Il n’y a pas de réponse précise.
Ces scènes n’étaient pas adressées au clergé qui ne possédait pas les clefs de décryptage. C’est un langage symbolique qui s’adresse à quelqu’un qui n’a aucune culture et qui a simplement une capacité de compréhension intuitive, compréhension symbolique, compréhension du cœur.
Tout ceci éveille en nous des choses, le parcours qu’on a fait. Il faut savoir qu’un symbole n’agit pas forcément du premier coup. On peut passer cent fois devant un symbole. Ce qui est important c’est qu’à la cent-unième fois nous soyons transformés. Cette démarche est bien plus facile pour les enfants car ils n’ont pas encore créé le voile que nous nous sommes créé nous-mêmes. L’enfant est plus doué en géobiologie que nous adulte. Pour nous il y a toujours des freins, des masques à faire -difficilement- tomber.
Bibliographie
Le chemin de lumière Jean Jacques Meyfroid Ed Coprur
Photos : Michel FERNBACH