A la richesse iconographique des portails se substitue le relatif dépouillement du flanc nord. Le message va maintenant s'intérioriser et se fixer. Seule cette "fixation" permettra l'accès à la lumière intérieure de l'édifice. Le pèlerin prend conscience que le flanc nord est "la dernière ligne droite" à parcourir afin de mériter la récompense finale.
Il s'agit de la dernière épreuve avant l'accueil au sein de Notre-Dame. Le mot "épreuve" n'est pas trop fort pour qualifier cet ultime parcours extérieur car ici, le soleil n'apparaît quasiment jamais.
Compte tenu de cette absence d'ensoleillement, les visites prennent parfois des allures de calvaire glacial d'octobre à avril mais cette étape demeure fondamentale et obligatoire à la préparation intérieure. La quête du flanc nord débute par la fresque en haut relief de la tour nord-occidentale.
Après avoir contourné la tour nord, l'œil du chercheur se lève pour découvrir un haut-relief imagé. Cette succession de scènes est le pendant de la "fresque aux Centaures" révélée à l'issue du parcours sud. Si au sud nous avions découvert le Solve, la dissolution de notre âme, au nord nous sera donné le Coagula, la fixation de l'enseignement issu des étapes précédentes. Ce Coagula est en fait une initiation aux mystères du Christ, préparation indispensable à l'approche des réalités divines symbolisées à l'intérieur de la cathédrale.
La fresque nord comporte également douze scènes et, tout comme au flanc sud, une scène ne se trouve pas dans le prolongement des autres. Rappelons qu'au sud, la scène décalée signifiait l'écart du chemin, donc le retour dans la bestialité de la matière.
1. Un sanglier auprès d'un arbre.
(scène décalée par rapport à la façade)
Un animal tente de dévorer le sanglier par l'arrière. Compte tenu des oreilles, cet animal ressemble beaucoup à un porc. De l'autre côté, un homme semble vouloir asséner un coup de bâton à notre malheureuse bête.
Pour le monde chrétien, le sanglier est souvent assimilé au Démon, en rapprochement avec le porc. Comme cette scène comporte déjà un porc, tournons-nous vers le druidisme où le symbole du sanglier est prépondérant. Dans cette tradition, le sanglier est l'attribut de la classe sacerdotale, le druide lui-même.
Les imagiers médiévaux, dont les connaissances druidiques ne sont plus à démontrer, y voyaient-ils un jeu de mot intéressant : sanglier = sang lié, c'est-à-dire l'homme uni à son Créateur ? Ceci conforte l'interprétation celtique de ce symbole. A l'inverse, le porc fait figure de symbole maléfique. Sa consommation est interdite dans plusieurs religions. Le porc représente la bestialité vue sous un angle de goinfrerie, de gourmandise car il avale tout ce qu'il trouve. De plus, il est heureux de pouvoir se vautrer dans les endroits les plus sales. De ce fait, il représente nos plus bas instincts. L'homme au bâton se tient prêt à assommer le sanglier si celui-ci parvient à échapper à la voracité du porc.
Ainsi cette scène, qui ne fait pas partie de l'alignement des onze autres, représente de nouveau l'éloignement du chemin spirituel. Le "sang-lié" obtenu après l'enseignement des portails ne peut couler dans nos veines si nous nous écartons du chemin de la cathédrale. Cette douzième scène équivaut également à Judas qui, en reniant le Christ, sombre aux mains du démon. Il se sépare du corps de la cathédrale, du corps du Christ (diabolen = séparer).
Pourtant, un symbole unit cette scène aux autres : l'arbre situé entre l'homme et le sanglier. En effet, l'arbre couvert de feuilles — et ceci est très important — est présent dans la quasi-totalité des douze scènes de la fresque. On peut même avancer que cet arbre est un chêne tant le détail des feuilles s'en approche et, tout comme le sanglier, le chêne nous entraîne dans la spiritualité druidique, véritable Ancien Testament du monde occidental. Enfin, nous constatons l'extrême ressemblance entre cette fresque au sanglier et la même scène qui était décalée au flanc sud : la perte symbolique de l'initié.
Il y a tout de même une remarquable progression qui s'est faite. Au sud, l'âme était emportée par des monstres. Ici, c'est un homme qui assomme le "sang-lié" s'il s'échappe de la cathédrale.
2. Un homme se découvrant le genou devant une licorne.
Cet homme semble être un chevalier car une épée pend le long de sa jambe gauche. Il tient dans sa main droite un instrument qui ressemble à une règle. Partant du coude jusqu'au creux de la main, il peut s'agir d'une "coudée" matérialisée par cet instrument. Ce chevalier serait donc un bâtisseur ? Un initié ? Nous avons déjà vu que le genou restait un symbole de l'initiation.
Arrêtons-nous sur la signification de la licorne car nous allons la retrouver dans une autre scène de la fresque. Cet animal fabuleux et légendaire représente généralement la pénétration de l'Esprit divin dans l'homme. Les fameuses Dames à la licorne que l'on rencontre dans l'art médiéval, mais surtout dans les peintures de la Renaissance, symbolisent l'Annonciation, c'est-à-dire la fécondation de la Vierge par le Saint-Esprit.
En alchimie, la licorne est assimilée au mercure, véhicule de l'Esprit. Ainsi donc, notre homme armé de son épée et de sa règle, le chevalier-bâtisseur, le templier-compagnon, va recevoir une nouvelle initiation que la licorne-Esprit lui insuffle. On voit bien que depuis la lecture des grands portails, c'est-à-dire de notre mort symbolique et de notre nouvelle naissance, nous ne sommes plus des "profanes" mais nous avons reçu quelque chose qui nous autorise à continuer notre quête sur une toute autre dimension. Pour l'instant, nous ne rencontrons plus de monstres, nous n'avons plus à livrer de luttes féroces mais nous bénéficions d'un enseignement. D'ailleurs, c'est avec la scène suivante que débute véritablement l'enseignement christique.
3. Un aigle qui regarde le soleil en face. De ses serres de la patte gauche, il force également un de ses oisillons à fixer des yeux l'astre du jour. L'aigle, c'est saint Jean l’Évangéliste, maître de l'initiation et gardien suprême de l'ésotérisme chrétien.
L'aiglon, c'est le disciple de Jean, c'est-à-dire nous-mêmes. Le soleil resplendissant n'est autre que le Christ en gloire ressuscité, la lumière céleste. En nous forçant à contempler la céleste lumière, Jean nous ouvre les yeux à l'initiation chrétienne authentique. Le maître rend la lumière à son disciple mais, pour mettre en pratique, bien des épreuves seront encore nécessaires.
4. Le sacrifice d'Isaac par Abraham
Isaac est agenouillé sur un autel cubique et, les mains jointes, il s'apprête à recevoir le tranchant mortel du glaive que brandit son père Abraham. Jaillissant du ciel, un ange empêche le sacrifice en se saisissant du pommeau de l'épée d'Abraham. Le bélier qui sera substitué au fils regarde toute la scène. Rappelons qu'Abraham vient de Abram et que tout ceci symbolise l'ère du Bélier. Isaac représente l'homme en quête, le "fils de l'initié". Il n'est pas encore temps pour lui de mourir car il n'a pas reçu la révélation (chrétienne). En cela, Dieu demandera à Abraham de tuer le bélier en lieu et place de son propre fils. Comme nous l'avons déjà vu, cette prophétie annonce la crucifixion car le bélier préfigure l'agneau immolé de Pâques.
5. Le Phénix se consumant dans les flammes.
Cette allégorie est une des représentations les plus utilisées pour illustrer le sacrifice et la Résurrection du Christ. Pour l'alchimiste, le Phénix représentera "l'Œuvre au rouge". Animal mythique, le Phénix meurt par le feu mais il possède le pouvoir de renaître de ses cendres. Il apparaît souvent sur les bas-reliefs des autels — tout comme le pélican dans la scène suivante.
De nouveau, il suffit de transposer cette scène christique dans notre propre cheminement pour se rendre compte que celui-ci est avant tout une succession de morts et de résurrections. La première mort à soi-même est la prise de conscience qu'il faut agir pour sortir de la condition humaine commune. Il y a donc apparition du nouvel homme, mais la route est longue et il faudra accomplir de nombreuses morts pour renaître plus fort à chaque fois ; tout ceci dans une sorte de spirale ascendante qui nous rapprochera petit à petit du Père et qui se terminera dans sa réintégration.
Il est à remarquer que cette représentation est très graphique , quasi actuelle dans son design !
6.Un pélican et ses petits
Le pélican se perce le cœur afin de nourrir ses enfants de sa chair et de son sang. Ici encore, le symbole christique est transparent et accomplit la scène du Phénix. Le pélican remplace souvent la Croix sur les anciennes chasubles des prêtres. Le pélican, c'est le Christ qui s'immole pour sauver l'humanité. Dans le chant XXV du Paradis de la Divine Comédie, la dame présente saint Jean à Dante en ces termes : Voici celui qui coucha sur le sein de notre pélican et par Lui fut élu, quand Il était en Croix, pour un devoir insigne.
Au pélican est également attribué la vertu de charité ; vertu qui couronne toutes les autres car elle est la manifestation de l'amour. Le chapitre XIII de la première épître aux Corinthiens de saint Paul exprime remarquablement la portée de cette vertu. Ce chapitre reste une des plus belles pages de la Bible.
La charité, c'est l'amour ; l'amour, c'est le don de soi, c'est aller jusqu'à la mort pour les autres. Le Christ l'a accompli. Dans toutes les traditions, de grands saints ont suivi ce précepte et leurs vies restent des modèles pour l'humanité. Le don de soi est un atout décisif pour l'aboutissement de la quête.
On peut également regarder la scène du pélican sous l'angle du maître qui nourrit ses disciples de ses connaissances intérieures et ésotériques. Tout but du maître digne de ce nom est de pouvoir un jour voir son disciple le dépasser. Encore une fois, rappelons que le symbolisme touche de nombreuses sphères et ne se limite jamais à un dogme définitif. A chacun de soulever ses propres voiles intérieurs.
Tout comme pour le phénix, le sculpteur s'est contenté d'une forme très dépouillée, contemporaine sans faire figurer les plumes de l'oiseau.
7. Moïse devant le serpent d'airain enroulé autour d'une croix en tau.
Six personnages contemplent la scène. Moïse se trouve en position d'enseignant et il pointe l'index vers le serpent. A la base de la croix en tau, on remarque que la terre elle-même, ou plutôt l'énergie tellurique, monte dans la poutre verticale de la croix.
La Bible nous enseigne (Nombre 21) que Dieu avait envoyé des serpents sur la terre afin de tuer tous les humains. Moïse intercéda le pardon auprès du Père et il put ainsi construire le serpent d'airain. Il suffisait alors à tout homme mordu par un serpent de contempler le serpent d'airain pour être aussitôt guéri. Les serpents terrestres représentent le mal, nos passions les plus basses, celles qui sont "clouées au sol" et qui interdisent notre progression spirituelle. Le serpent d'airain représente l'Esprit de Dieu qu'il suffit de contempler, et surtout de suivre, pour être sauvé. Le tau peut également symboliser la colonne vertébrale et le serpent la Kundalini, énergie divine que chacun possède et nous faut "réveiller" pour accéder à la Lumière. Cette conception fait partie des traditions orientales, notamment bouddhiste.
Le serpent sur la croix en tau peut également symboliser la mort par le sacrifice et rejoint ainsi les précédents symboles du Christ. Les six personnages du tableau ont leurs mains en position de réception de l'enseignement que professe Moïse. Il est particulièrement amusant de constater que le chiffre 6 en français est composé des lettres S, I et X. S représente le serpent, I représente la partie verticale de la croix, X la croix de saint André-Andros, c'est-à-dire l'homme. Ceci n'est bien entendu qu'un hasard, un de plus...
8. Jonas sort de la gueule de la baleine pour entrer dans un édifice.
Un homme attend l'arrivée de Jonas sur le pas de la porte. Jonas est complètement nu. Il ne possède même pas de cheveux sur la tête. Les trois jours qu'il a passés dans le ventre du mammifère l'ont dépouillé de tout. Il est clair que nous rejoignons ici le symbolisme de toutes les cérémonies d'initiation ésotériques, à savoir l'isolement dans le noir, le ventre de la baleine, la grotte obscure, la chambre de préparation, la crèche... pour se dépouiller du "vieil homme", et l'entrée dans le temple, dans l'espace sacré, après cette épreuve de purification. Encore une fois, nous retrouvons le symbole de la mort et de la résurrection ; symbole clé de toute quête spirituelle.
L'homme dépouillé sort d'un poisson. Comme déjà remarqué précédemment, nous pouvons également faire allusion à l'homme issu de l'ère des Poissons et ainsi purifié pour entrer dans le temple de Dieu.
D'ailleurs, toute la scène se passe sous le regard du Christ figuré dans une nuée au-dessus de la baleine. Reconnaissable par son nimbe cruciforme, le Christ bénit de sa main droite la sortie des ténèbres de notre Jonas.
Cet épisode préfigure également ce que nous sommes en train de faire : un parcours dans les ténèbres de notre intérieur afin de pouvoir entrer dans la cathédrale. Et cette entrée approche lentement.
Jonas représente donc l'homme en quête de son Dieu. Il est d'ailleurs curieux de constater que Jonas est également l'anagramme de Jason qui lui aussi part en quête de la Toison d'or. Force est de constater que la symbolique réunit bien des traditions d'apparences opposées. Ceci doit tout particulièrement nous faire réfléchir sur la notion de tolérance religieuse qui évitera tout débordement sectariste donc extrémiste.
9. Dame à la licorne
.Nous changeons de registre à la scène suivante et nous réapparaissons à l'époque médiévale. Une dame assise, une licorne repose sur son genou. Un chevalier semble transpercer de sa lance le corps de la licorne. En fait, la lance est prolongée par la corne de l'animal mythique, corne dont l'extrémité paraît transpercer le genou droit de la dame. Nous avons déjà constaté que la licorne symbolisait la pénétration de l'Esprit divin. Comme le genou est également symbole d'initiation, l'allégorie est des plus significatives. Par exemple, le futur chevalier sera adoubé le genou droit à terre. La "dame" reçoit donc ici sa récompense de tout le travail accompli depuis le départ du portail sud. Aidé de la licorne, le chevalier admet la "dame" dans le temple afin de lui permettre de continuer son cheminement sur un autre niveau.
10 Les lions.
En premier, nous rencontrons un lion penché sur ses petits. Ce lion représente ici le maître — pour nous le Christ —veillant sur sa nouvelle progéniture dont nous faisons maintenant partie.
11. Combat entre un homme et un lion.(a)
Les deux scènes suivantes comportent des combats d'hommes avec des lions.
Tout d'abord, entre deux grands arbres, nous pouvons voir un homme entièrement vêtu combattant un lion de petite taille.
L'homme entièrement vêtu symbolise la neutralisation de toutes les passions. Le combat se fera donc contre un "petit lion".
12 Combat entre un homme et un lion. (b)
A l'inverse, l'homme dont la partie inférieure est dénudée montre que la sexualité n'est pas encore maîtrisée. Il faudra donc combattre un lion un peu plus grand. La fresque sud débutait avec un combat contre un monstre, puis un centaure-lion.
La fresque nord se termine par des combats contre des lions, animaux réels — par opposition au monstre et au centaure, personnages totalement imaginaires.
Bibliographie
Mater Nostra Georges PRAT – Constant SCHOHN
Le chemin de lumière Jean Jacques Meyfroid Ed Coprur
Photos : Michel FERNBACH