Animal mythique et miroir vivant des forces sacrées de l’Univers, la licorne nous enchante depuis des millénaires. Véritable archétype occidental, et si elle avait encore aujourd’hui des
messages à nous transmettre ? (voir la fresque nord de la cathédrale de Strasbourg)
Force, pureté, élégance sont les attributs les plus marqués qui, depuis de nombreux siècles, dépeignent l’une des créatures légendaires les plus singulières, majestueuses et nobles de notre imaginaire occidental : la licorne. Animal sauvage associé au monde de la forêt, prenant la forme d’un imposant cheval blanc comme la neige et ayant comme caractéristique un détail bien singulier : une corne longue et pointue en spirale poussant au milieu du front.
Les origines du mythe.
Les contes évoquant cette créature fantastique se perdent dans l’Antiquité la plus lointaine et concernent une multitude de civilisations en Occident comme en Orient. L’un des plus anciens témoignages sur la licorne vient du médecin grec Ctésias, qui pendant son long séjour à la cour de Perse de Darius II et Artaxerxès. II rédigea un important ouvrage consacré aux animaux de l’Inde. Ce vaste recueil mentionne en effet un étonnant et bizarre « âne sauvage » blanc, de bien plus grande taille qu’un cheval, à la tête pourpre, aux yeux bleus et muni, au milieu du front, d’une longue corne de trois couleurs différentes : blanche à la base, noire au milieu et rouge à l’extrémité. Dans son compte rendu, au-delà de la description physique, Ctésias énumère surtout les prodiges magiques reliés à cette corne que les Indiens avaient pour habitude d’utiliser comme vase pour boire. Ce récipient singulier était réputé offrir à toute personne goûtant la boisson qu’il contenait le pouvoir d’être préservé de maux comme l’épilepsie, et de l’immuniser instantanément contre les effets de divers poisons. Dans l’imaginaire des anciens Romains, la licorne fait à nouveau son apparition. Au Ier siècle, l’écrivain Pline l’Ancien, recueillant certaines informations circulant encore à son époque, décrit l’ancêtre probable de la fameuse licorne médiévale comme une sorte d’assemblage de différents animaux sauvages.
De ce fait, il nous rappelle à l’aide de termes évocateurs que : « La bête la plus sauvage de l’Inde est le monocéros ; il a le corps du cheval, la tête du cerf, les pieds de l’éléphant, la queue du sanglier ; un mugissement grave, une seule corne noire haute de deux coudées qui se dresse au milieu du front. On dit qu’on ne le prend pas vivant. »
Lorsque la licorne arrive et qu’elle voit la jeune fille, elle vient aussitôt à elle et se couche sur ses genoux.
Le Moyen Âge et l’allégorie de la licorne domptée.
Au Moyen Âge, la source principale qui engendre cette symbolique spirituelle de la « bête prodigieuse » se trouve dans les fameux bestiaires, des textes et inventaires comportant de courtes descriptions d’animaux – peu importe qu’ils soient réels ou imaginaires – souvent accompagnées d’explications à caractère moral. C’est dans ce contexte que pour la première fois, la licorne, au lieu d’apparaitre comme un animal solitaire, est présentée en lien étroit avec une jeune vierge. La scène montrée habituellement dans ces ouvrages est une battue de chasse, dont le gibier est la licorne et l’appât – fait surprenant – est justement une jeune fille ! Comme le raconte un bestiaire du XIIIe siècle : « La licorne est le plus redoutable de tous les animaux qui existent au monde, sa vigueur est telle qu’elle ne craint aucun chasseur. Ceux qui veulent tenter de la prendre par ruse et de la lier doivent l’épier pendant qu’elle joue sur la montagne ou dans la vallée, une fois qu’ils ont découvert son gîte et relevé avec soin ses traces, ils vont chercher une demoiselle qu’ils savent vierge, puis la font s’asseoir au gîte de la bête et attendent là pour la capturer.
Lorsque la licorne arrive et qu’elle voit la jeune fille, elle vient aussitôt à elle et se couche sur ses genoux ; alors les chasseurs, qui sont en train de l’épier, s’élancent ; ils s’emparent d’elle et la lient, puis ils la conduisent devant le roi, de force et aussi vite qu’ils le peuvent. » Ce récit fouillé illustre bien le fait que ce qui ne peut être obtenu des forts et courageux chasseurs devient possible et même aisé grâce à la simple présence d’une vierge. C’est elle et seulement elle qui permet de dresser le sauvage et de dompter l’indomptable. Ici, la force se laisse vaincre sans aucune résistance par le pouvoir de la grâce. Un trait bien singulier remarqué par les penseurs chrétiens du Moyen Âge qui identifièrent la licorne à Jésus-Christ, véritable unicorne divin et spirituel, qui, en descendant dans le ventre de la Vierge Marie, prit la forme humaine et la nature terrestre.
Ce fut justement ce rapprochement symbolique entre la licorne, le Christ et la virginité qui transforma cette ancienne créature fantastique issue des anciennes descriptions païennes en l’un des symboles les plus diffusés et représentés dans les miniatures religieuses, dans l’art pictural, dans la tapisserie ainsi que dans l’héraldique du Moyen Âge chrétien et de la Renaissance.
À la même époque, sortant du simple univers artistique et spirituel, la symbolique de la licorne s’étendit aussi au domaine de la littérature. La Dame à la licorne et le Chevalier au lion, un conte courtois du XIVe siècle, en est un exemple éloquent. Ici, au lieu de la scène de la battue de chasse, nous trouvons au contraire une gracieuse princesse qui obtient du Dieu d’amour comme cadeau précieux une merveilleuse licorne. Un jour, alors que son noble et magnanime époux est parti chasser le lion, un être malintentionné profite de la situation pour enlever la belle dame à la licorne. Au moment de rentrer dans son château, le noble chevalier découvre que sa femme a été ravie et se lance sans hésitation à sa recherche en direction de la sombre demeure du méchant. Après un duel farouche, le prince réussit à la libérer et la ramène dans leur demeure avec pour montures la belle licorne et le vigoureux lion.
Le symbole des polarités de l’Univers.
Qu’il s’agisse de la battue lors de la chasse à la licorne – dans laquelle l’animal est souvent représenté frappé par la lance d’un chasseur – ou de la simple illustration de la rencontre heureuse entre la licorne et la dame, l’animal et la vierge évoquent un binôme constant et inséparable. Ils sont en effet la double facette d’une symbolique unique où la polarité masculine, sauvage et active (la licorne) trouve son complément grâce à la présence de sa contrepartie féminine, terrestre et paisible (la vierge). Ces deux éléments – rappelant la combinaison fluide qui existe entre le yang et le yin – s’attirent de manière réciproque et s’accordent harmonieusement, créant ainsi une véritable unité dynamique.
L’image du cheval et encore plus de la corne – allusion symbolique au phallus dans sa signification d’énergie spirituelle virile à la fois créatrice et fécondante – est contrebalancée et rééquilibrée par celle de la vierge qui a le pouvoir d’attirer, de dompter et d’accueillir la licorne. C’est ici la figure d’une jeune fille à l’esprit immaculé qui est montrée en posture gracieuse et élégante, le visage serein, capable par sa seule présence calme et imperturbable de fléchir la force impétueuse de l’animal.
Emblème de la connaissance spirituelle. Parfois, dans l’iconographie médiévale, nous trouvons dans l’une des mains de la vierge un miroir clair dans lequel la licorne se contemple. C’est l’emblème de la connaissance spirituelle qui est obtenue grâce à cette heureuse rencontre et à l’intégration de ces deux polarités.
Il est possible ici de tenter une véritable interprétation ésotérique de la symbolique de la licorne. Pour accéder à ce niveau de lecture, il nous faut en effet rappeler que la licorne est souvent mentionnée dans de nombreux ouvrages d’alchimie comme l’incarnation terrestre du mercure. Ce spiritus mercurialis se trouve à l’origine de toute opération alchimique visant l’achèvement du Grand Œuvre et la réalisation de la « pierre philosophale », c’est-à-dire notre nature divine profonde. Unique dans sa nature ultime, ce même mercure possède toutefois un double aspect « actif » et « passif » concrétisé dans les deux images de la licorne et de la vierge.
C’est dans ce même cadre que les anciennes légendes païennes qui font référence au pouvoir de la licorne sur toutes sortes de poisons trouvent un aboutissement dans un sens plus profond : dans cette faculté se cache en effet le secret des métamorphoses alchimiques qui ont pour but suprême la transmutation intégrale de la matière en esprit en permettant la neutralisation de tout obstacle et de tout venin. En tant que véritable figure archétypale, toujours vivante car universelle, le mythe de la licorne s’adresse aux hommes de l’Antiquité comme à nous, individus modernes. Avec la double image de la licorne et de la vierge, nous retrouvons l’unification équilibrée de toute opposition et de tout dualisme, les forces opposées de l’Univers : le sauvage et le domestique ; le masculin et le féminin ; le pôle actif et le passif. En même temps, elle fait référence à notre psyché qui, au-delà de sa nature mobile et changeante, a comme origine la vaste, pure et infinie réalité qui transcende toute dualité et toute opposition.
La licorne et ses « ancêtres » asiatiques.
La licorne en tant qu’animal légendaire est aussi présente dans les traditions asiatiques. C’est le cas par exemple du qilin chinois, animal qui combine les traits du cerf et du cheval et qui est caractérisé par une corne unique poussant au milieu de son front.
Dans le folklore de la Perse ancienne, nous rencontrons le shâdhavâr : une licorne carnivore connue pour son tempérament mélancolique et pour sa capacité à attirer à elle les animaux et les humains grâce à la mélodie, semblable à celle d’une flûte, produite par le frottement du vent sur sa corne.
Source : magazine INEXPLORÉ - INREES Publié le 26/03/2021
Attention, événement !
Du 30 octobre 2021 au 16 janvier 2022, La Dame à la licorne débarque aux musée des Abattoirs. Et voici les raisons pour lesquelles vous devez aller absolument admirer ce chef d’œuvre ...si vous êtes dans le coin !!!